Stigmata Doloris 2008
Textes 1- Le songe des fleurs...
Lilou
Lilou songe, le jour baisse, le clair de Terre sera beau ce soir.
Elle marche vers l'arbre à "pans".
Le maître de l'arbre, son maître est absent, elle peut en profiter.
Lilou grimpe au faîte de cet arbre, elle s'étire, son corps se tend, et telle une louve, elle les appelle.
Son cri résonne sur cette terre rouge et aride, elle leur fait savoir que l'heure est venue de rentrer, de venir se ressourcer.
Elle attend, puis recommence cette plainte langoureuse, amoureuse, ses lèvres supplient cette Terre de les laisser revenir.
Elles reviendront ouvertes ou fermées, comblées ou frustrées, parfois marquées...
Lilou est la gardienne des fleurs sur cet astre rougeoyant.
Pas n'importe quelles fleurs, les fleurs de fessée.
Celles qui s'ouvrent, fleurissent et s'épanouissent après avoir joué, après avoir été soumises ou dominatrices.
Celles qui montrent leur couleur, fières d'avoir été fessées, fières d'avoir été soumises, fières d'appartenir à un maître ou fières d'être dominatrices, fières d'avoir un soumis.
Qu'elles sont belles dans ces moments là.
Lilou ouvre les lianes du jardin refuge, un vrai labyrinthe pour celui qui ne connait pas.
Ici une prairie accueillante, là des petits bosquets coquins, par ici des bois touffus, par là des volcans chaleureux.
Chaque fleur trouvera sa place.
Près du ruisseau, les jeunes pousses, celles qui ne partent pas encore, gazouillent et pépient, elles attendent le retour de leurs aînées, elles sont impatientes d'entendre toutes ces histoires de fessées qui les feront rêver encore de longues nuits.
Voici en premier, Muguettine, le muguet.
Elle marche en souplesse en faisant danser ses clochettes très ouvertes, elle en est fière et le montre.
La fessée a du être bonne, elle embaume l'air.
Et sa gaîté entre avec elle dans le refuge.
Elle est suivie par une troupe de myosotis et autres désespoirs du peintre, oeillets de poète, soucis et impatiens (qui aimeraient changer de nom !) fleurs de passion (bien nommées) primevères et violettes qui jacassent à tout va...
Les tulipes perroquets aux couleurs vives leur emboîtent le pas et pérorent de tous leurs pétales.
Les asters et autres marguerites racontent leurs découvertes.
Les rires, les cris, les gémissements, les plaintes, les soupirs de plaisir envahissent à nouveau ce jardin.
Lilou aime les entendre car ainsi elle partage leurs craintes, leurs envies, leurs plaisirs, leurs passions.
Lilou est alors pénétrée par toutes ces sensations et se sent différente.
Elle est imprégnée de tous ces différents parfums qu'exhalent ces fleurs toutes ouvertes.
Des bruits de chaînes et de fouet qui claquent dans l'air, le cortège des dominatrices arrivent. Les lupins, aux couleurs variées, joueurs, les suivent dans un tintamarre assourdissant.
Les jeunes pousses se cachent sous leurs tendres feuilles tout en gardant un oeil curieux ouvert sur cette parade.
En tête, le fuschia et ses fleurs rouge vif.
Elle se dresse fière, puis retombe en souplesse pour mieux faire admirer sa touffe de clochettes bondissantes ; elle discute avec "mistress Bradschaw" benoîte renommée aux couleurs écarlates.
L'arum les suit en exhibant sa tenue provocatrice, l'anthurium fleur tropicale très sensuelle joue nonchalamment avec une cravache.
Le narcisse et son parfum envoûtant manipule discrètement des menottes.
Les fleurs carnivores et les cactus se racontent leurs morsures, leurs piqûres, le genêt est content de faire admirer ses tiges si souples et si robustes avec lesquelles il frappe.
Le cornouiller attend son heure, en vieillissant son bois devient dur et peut servir à fabriquer différents instruments, comme des cannes par exemple.
Un rhododendron mauve accompagné d'un hortensia bleu fait claquer son fouet bruyamment.
Elles passent dans la prairie, essayent d'intimider les jeunes, les menacent et les attirent.
Mais Lilou veille et les invite à rejoindre leur bois.
Chaque pousse choisira en temps et en heure sa destinée.
La rose noire fait son entrée.
Le silence se fait.
Elle se dirige à l'orée d'un petit bois et s'assied en prenant soin de bien étaler ses pétales. Aussitôt, un groupe de coucous, de jacinthes, et pervenches vient la rejoindre.
Lilou les accompagne comme à chaque fois.
Rose noire regarde son auditoire, elle raconte très bien ses aventures et le sait.
Le rituel commence.
Rose noire est en fait une rose d'un violet très foncé, elle fut appelée rose noire à cause de ceci.
Une fois installée, elle sort ce qu'elle préfère, une de ses gourmandises autre que la fessée, le chocolat noir.
Elle sort un carré et le déguste lentement, elle prend du plaisir à imposer cette attente.
Le silence se fait, chaque corolle retient son souffle.
Plus un pétale ne bouge...
Rose noire prend alors un deuxième chocolat, si elle le mange c'est qu'elle n'a pas eu de nouvelle fessée alors elle racontera une ancienne histoire, si elle tend ce chocolat à Lilou, c'est qu'elle a reçu ce plaisir extrême et elle narrera ses nouvelles émotions.
Le deuxième chocolat est dans sa feuille, elle déplie doucement le papier qui l'entoure, elle se retourne vers Lilou, la regarde... et lui tend...
Un murmure s'élève, un frisson parcourt l'assistance, l'histoire peut commencer.
Lilou sourit, prend le chocolat, elle le mangera plus tard et retourne aux portes de lianes pour accueillir les nouvelles arrivantes, les nouveaux arrivants.
Voici le cotinus accompagné comme d'habitude de la céanothe, du zinia, du gros minet et du chèvrefeuille.
Ils sont en grande discussion sur les martinets et les paddles, sur les liens spécialité appréciée tout particulièrement par le chèvrefeuille.
Ils échangent sur les sensations ressenties.
Lilou ne va pas les interrompre.
Le cotinus dénommé l'arbre aux perruques a de très belles fleurs couleur d'automne aujourd'hui, elles rayonnent, pas besoin d'en dire plus.
Gros minet soigne ses épis duveteux tout ronds, semblables à des chatons.
Le chèvrefeuille semble tout emmêlé, pleins de noeuds à défaire, Lilou en sourit.
La céanothe intrigue Lilou.
La céanothe avec ses fleurs en grappes de couleur bleue a pour autre nom, l'arbre aux papillons.
En effet, ses fleurs attirent les papillons qui forment un petit nuage autour d'elle et ne la quitte pas.
Lilou rêve de voir une fessée de céanothe.
Une fessée, les papillons s'envolent puis reviennent ; une autre, un nouvel envol et avec un rythme plus marqué les envols s'accélèrent et les papillons forment une nuée tourbillonnante, des va et vient enivrant autour des fleurs.
Lilou aimerait observer cette danse pittoresque, mais c'est réservé à d'autres mains que les siennes.
Rebelle, fière, heureuse et amoureuse, l'orchidée appelée "gueule de loup" à cause de ses couleurs fauves, les plus belles qu'ils soient, rentre.
Elle salue de la tête Lilou.
Lilou lui rend son salut.
En silence , elle va rejoindre les fragiles cyclamens bancs et roses, les hibiscus oranges, les anémones mauves , les crocus et les ancolies aux couleurs tendres non loin des volcans.
Là, cette fleur sauvage leur raconte ses rêves.
Tout en s'exclamant sur leurs découvertes, les astromérias , les lisianthus, les clématites précèdent une autre reine de ce jardin, le lis toujours accompagnée de sa confidente la pivoine.
Sa couleur blanche éclatante, ses fleurs déployées ne donnent aucun doute sur son séjour.
Sa cour d'iris et de glaïeuls l'entoure et la suit.
Elle se dirige vers son bosquet attitré, elle le garde jalousement et aucune autre fleur ne peut s'y installer sans son autorisation.
L'edelweiss des montagnes, fleur éternelle, revient au bercail.
Jeune elle fut soumise puis elle a trouvé en elle le goût de la domination.
Elle oscille entre les deux, et alterne dans ses jeux.
Elle est souvent accompagnée de cosmos fleur discrète au charme certain et d'eschscholzia éphémères.
Elles échangent tranquillement en toute complicité.
Ainsi elles rentrent toutes, ils rentrent tous.
Les fessées, les soumises, les soumis et les dominatrices.
Les seuls que Lilou ne rencontre jamais, ce sont les dominateurs, les maîtres.
Ils vivent ailleurs, sur d'autres planètes.
Parfois très rarement l'un d'eux blessé, esseulé vient voir le Maître de l'arbre à "pans".
Ils parlent et échangent à l'ombre de l'arbre.
Une fois réconforté, le dominateur repart dans son antre.
Lilou n'en a jamais croisé sur sa planète.
Les retours s'achèvent, le jour s'estompe.
Les bruits se font murmures, les soupirs s'allongent, les rêves vont envahir le jardin.
Lilou passe dans les allées et met sa touche personnelle.
Au détour d'un chemin, entre les gentianes et les bleuets, une place est vide.
Oh, non, elle n'est pas rentrée.
Lilou retourne l'attendre.
La pénombre arrive, le froid aussi.
Lilou s'assied aux pieds de l'arbre.
Elle n'aime pas qu'une de ses protégés ne revienne pas.
Lilou est inquiète.
Cette fleur, elle l'a accueillie dans son berceau avec sa jupe blanchâtre.
Elle l'a vue grandir, elle l'a vue changer de couleur, passer du jaune à l'orange, un orange doux et harmonieux.
Elle l'a sentie forte et faible, déterminée et fragile.
Elle l'a sentie tourmentée.
Cette fleur a choisi la fessée pour la douleur d'abord, puis elle a découvert ses envies et son plaisir.
Elle a pris goût à ce curieux mélange de souffrance et de plaisir.
Mais Lilou sait qu'elle peut se mettre en danger.
Et si un coup de fouet trop violent avait coupé sa tige, plus de vie, ou si elle était attachée quelque part, seule, abandonnée, sans espérance de retour ....
Lilou l'appelle une dernière fois.
Personne.
La fleur des champs n'est pas au rendez vous, cette voyageuse qui fait tant de kilomètres pour trouver du plaisir, où est elle encore partie ?
Elle n'a rien dit, elle est tellement mystérieuse, secrète.
Et puis, alors que les étoiles commencent à briller, la voilà.
Coquelicot est de retour tout pétale dehors.
Lilou voudrait lui dire qu'elle a eu peur, se fâcher et en même temps la prendre dans ses bras pour la protéger.
Mais elle n'en fait rien.
Elle va l'accompagner tout simplement.
Coquelicot passe en silence, mais ses yeux sont pleins d'un curieux mélange d'angoisse et de sérénité.
Elle est comblée.
Qu'a-t-elle vécu ?
Le racontera-t-elle un jour ?
Sera-t-elle plus prudente à l'avenir ?
Coquelicot prend sa place, s'allonge dans les hautes herbes se laisse recouvrir par le feuillage du silybum, se referme sur elle même et s'endort.
Lilou lie les lianes des portes du jardin des fleurs, et monte sur la butte vers l'arbre.
Elle s'installe sur une branche et se cache dans le feuillage bienveillant.
Elle déguste son chocolat à défaut d'une glace, tout est en ordre.
Elle va pouvoir partir au pays des rêves.
Le vent se lève.
Lilou frissonne des pieds à la tête.
Elle hume ce vent.
Son côté "petit animal" reprend le dessus.
Le vent d'Ouest , celui des falaises transporte le sel de la mer ; le vent du Sud , celui des déserts apporte le sable chaud ; le vent d'Est, celui des montagnes fait venir la neige ; le vent du Centre, celui des volcans amène la chaleur et le vent du Nord celui des grandes plaines appelle le froid.
Quel est celui qui viendra ce soir ?
Lilou