Stigmata Doloris 2008
Textes 1- Huyana, ou la sublimation.
Huyana, ou la sublimation.
Je déteste le jour.
Le jour, et tout ce qui s'ensuit.
Les gens.
Leur démarche chaloupée, leur cambrure hypocrite.
Je n'aime pas les gens.
Ils font semblant de porter le monde sur leurs épaules.
Moi, je le porte, le monde.
Huayna Capac, c'est mon nom.
Fils de Tupac Yupanqui.
Assassiné.
Moi, j'ai été élevé par mes oncles.
J'ai cru comprendre qu'on avait comploté contre le gouverneur, mais on ne m'a pas tout dit. Pendant les émeutes, mes oncles cherchaient à me protéger.
L'hiver 1493 a été dur.
Et c'est dans ces conditions que je dois régner.
Quechua inka, çà signifie "Fils du Soleil".
C'est le nom porté par les souverains de mon peuple, les quechua, nous occupons la vallée de Cuzco au Pérou.
Nous n'étions, à l'origine et selon ce que racontent les anciens, qu'une tribu guerrière provenant de plateaux situés au Sud de la cordillère centrale, au Pérou.
Mais nous sommes devenus un empire.
Je n'ai pas la tête d'un empereur, pourtant, je me tue à le répéter à mes oncles.
Je suis petit.
De plus, la parure que je porte en couvre-chef cache mal ma calvitie importante.
Depuis que je suis né, il n'est pas un jour que le soleil fît durant lequel je n'entendis pas les railleries de mes compagnons de jeux.
Mais depuis que l'on m'a mis sur le trône, ce n'est plus la même histoire.
Une ancienne a même dit :
- « Il te poussera des cheveux, un jour. Ce jour est proche. Je l'ai lu dans les signes. »
Mais elle a paru effrayée, un moment.
J'ai vu dans ses yeux qu'elle avait peur.
Elle m'a dit une date... 1532, je crois.
Elle a parlé de bannions, d'armures, de métal, de feu...
Puis elle a disparu derrière l'habitation de pirca, non loin de Cuzco.
- « Pinzàn ! Viens me voir !
- Qu'y a-t-il Huayna ?
- Je vais au temple, veux-tu m'accompagner, je ne me sens pas très bien...
Corèn m'a dit qu'elle a vu un destin horrible pour moi....
J'ai peur, tu sais ?
Je ne sais pas gouverner, je ne suis guère plus grand que toi....
- Ecoute, Huayna, nous sommes amis d'enfance, tu sais que je te soutiendrai toujours, mais Corèn n'a plus toute sa tête.
Tu sais bien qu'elle avait prédit à ton père que son règne durerait quelques lunes de plus, qu'il ne devait pas se faire de soucis...
Tu vois ce que çà a donné...
Ne t'inquiète pas.
Tout le village dit que tu seras un empereur magnifique.
Et Cuzco n'est pas seule à penser çà....n'oublie pas que tu as un véritable empire !!!
Tu es grand, et tu dois décider.
L'âge adulte dont tu avais tant rêvé est arrivé, Huayna !
- Je sais, Pinzàn, mais j'ai peur, tout de même.
Tu sais ce qu'on raconte, cet homme de couleur qui est venu avec du feu non loin de là...
On dit qu'il est envoyé par le soleil, par nos dieux...
Les temps ont changé, j'ai l'impression.
Mon père n'a pas fait long feu avec ses idées.
Nous sommes à une période de changement, et je ne sais pas trop comment m'y prendre...
- Bon, Huayna, je vais devoir y aller...
N'hésite pas à me demander si tu en as besoin, mais écoute les sages, les anciens, ils ont des choses à t'apprendre je pense...
Ecoute les, et laisse tomber Corèn, elle ne t'apprendra rien !
- Au revoir, Pinzàn !
Je suis retourné au temple.
J'ai une douleur au côté droit, il faudra que j'en parle à mon soignant personnel.
Ou plutôt non, je ne lui en parlerai pas.
On ferait courir le bruit que l'empereur est malade, çà n'en deviendrait que plus insupportable. Mon père est mort pour une misérable émeute, alors... ne brusquons pas notre royaume.
Mes sujets sont heureux, pour l'instant.
Oh, oui, l'hiver a été dur pour tous, mais le printemps est prometteur.
Sur les hauts-plateaux de Cuzco, nous cultivons beaucoup.
Et puis le gibier est abondant en cette saison.
Le vicuña, l'alpaga, le pécari, le tamanoir géant et le coati sont des espèces dont nous raffolons, et qui ne manquent pas en cette saison amoureuse.
Le seul problème que nous ne pouvons pas vraiment contrôler est la sécheresse, présente très souvent dans l'année.
Oh, bien sûr, nous avons nos réserves d'eau, mais elles ne suffisent pas toujours...
Cette douleur sur le flanc me reprend.
J'espère que ce n'est pas trop grave.
- « Huayna Capac, un plateau apporté pour vous de la part de vos oncles...
- « oui, entrez ! »
La porte s'ouvre sur mon ordre.
La femme qui a frappé me regarde, plie la tête, puis les genoux, et me salue longuement dans une révérence respectueuse.
Elle m'apporte des fruits.
Elle me regarde.
Elle a de grands yeux. Superbes.
D'un noir comme le charbon que l'on a en Colombie.
Aussi pur. Aussi troublant. Comme si ses yeux pouvaient s'embraser d'une minute à l'autre. Une surprenante sensation me monte dans le ventre.
La femme fait quelques pas en arrière vers la sortie mais je l'arrête.
Je lui demande de rester en ma compagnie.
- « Vous comprenez, je me sens seul, ici, dans cette pièce immense, si çà ne vous dérange pas de me tenir compagnie, juste l'espace de quelques instants... »
Je la fais asseoir sur le bord de mon lit.
La parure de lit s'enfonce sous ses fesses, laisse une empreinte.
Les courbures de son corps épousent ses vêtements de lin, et mes mains se laisseraient bien tenter par les formes et les rondeurs...
Mais je n'ose pas. j'ai beau être empereur, je ne veux pas profiter de ce titre...
Je n'ai jamais approché le corps d'une femme...
Elle est si belle.
Et moi si jeune.
Si belle.
Moi si naïf.
Si belle.
Oh, et puis zut !
Je lui prends la main.
Elle se retourne et me peint le cœur d'un sourire de velours.
Ma main moite d'inexpérience parcourt son bras d'un frôlement à peine perceptible.
Je dessine ses veines le long de sa chair, du bout de l'ongle.
Ses mains sont magnifiquement dessinées.
Une petite paume, de longs doigts fins et souples...
Ma main s'attarde sur son cou, sur sa joue.
Elle est douce.
Du bout de l'index, je lui caresse les lèvres.
Sa bouche s'ouvre, et elle me mordille doucement le bout du doigt.
Je suis subjugué.
- « Je... C'est la première fois que... Je ne voudrais pas profiter de la situation du fait que je suis empereur...
- Ne t'inquiète pas, Huayna, je suis d'accord pour un petit jeu entre nous. Tu me plais beaucoup, et j'ai sans doute beaucoup de choses à t'apprendre... Laisse-toi faire, ne dis rien, ne parle pas. »
Pelotonné sous mes vêtements humides, je me laisse glisser dans la sensation douce de la tendresse féminine.
Je lui demande d'ôter ses vêtements.
J'ai tellement envie de voir son corps !
Elle m'obéit, docilement, mais en toute normalité ; je veux dire, je ne profite que très peu de mon grade, elle aime le jeu qui s'installe entre nous.
Ses vêtements tombent. Je reste cloué, incapable de détourner les yeux de son corps.
Elle n'est pas très fine, et j'aime çà... quelques rondeurs bien disposées, des petits seins magnifiques, tout ronds.
Je ne bouge plus.
Elle s'approche de moi, prends ma main, et la pose sur son sein.
La petite boule de chair que je sens dans ma paume me transporte.
Mon sexe se durcit doucement.
Je pétris tendrement ce que j'ai dans ma main.
Je ne veux plus le lâcher, ce petit sein.
Une goutte de sueur se dessine sur mon front.
Sans un mot, la femme m'ôte les fils qui tiennent mes vêtements, un à un.
Je ne bouge plus.
Sa main s'abaisse, de mon cou à ma poitrine, de ma poitrine à mon ventre, de mon ventre à mes cuisses...
Oh !
Elle est passée sur... quel doux plaisir !
Elle remonte sa main, glisse entre mes cuisses, caresse mon périnée.
Elle prend mon sexe dans sa main, et entreprend de me le caresser, doucement, tendrement. Elle me fixe de ses yeux noirs de jais. Je ne bouge plus.
- « Tu aimes ? me susurre-t-elle
- Oui... J'aime...
- Alors je vais te faire découvrir autre chose. »
C'est la troisième fois que j'entends le son de sa voix, et c'est comme si je la découvrais. Douce, suave.
Elle a posé ses lèvres sur le bord de mon sexe.
Je ne connais pas cette sensation, mais il me semble que j'apprécie.
Sa tête bouge, mais je ne vois pas très bien ce qu'elle fait.
Une agréable sensation d'humidité vient poindre sur la peau fine et tendre de mon sexe.
Je regarde ce qu'elle fait, et je m'aperçois qu'elle l'a pris dans sa bouche.
Le désir au creux de mon ventre s'intensifie, telle une comète incandescente. Un frisson me parcourt l'échine.
- « Oh ! Je... C'est tellement bien ! Continue ! Tu es... étonnante ! »
Soudain, un frisson me paralyse entièrement.
Mes membres ne répondent plus, et je sens quelque chose de bizarre dans mon sexe.
Des pulsions, des saccades.
La femme boit mon offrande, et se redresse.
Je ne bouge plus.
Les yeux mi-clos, je suis dans les nuages, quelque part, là-haut.
Ce jeu entre nous a l'air de l'amuser.
Elle me met un bandeau sur les yeux, et m'offre son expérience.
Je savoure chaque instant.
Dans le creux de l'oreille, elle me glisse :
- « Veux-tu goûter à mes profondeurs intimes ?... »
Je n'en peux plus.
Mon sexe se redresse et je la sens bouger autour de moi.
Moi, allongé sur le dos, je ne vois rien de ce qu'elle fait.
Je sens le vent sur ma peau en feu, je sens la sueur sur mon corps brûlant de désir, je la veux tout de suite, je veux la sentir près de moi, je veux sentir son corps contre le mien...
Ses mains me frôlent, m'effleurent.
Je veux prendre sa main, mais elle m'en défend, silencieusement.
Soudain, je sens mon corps pénétrer dans le sien.
Tout du moins une partie de mon corps, mais j'ai l'impression que c'est mon corps tout entier qui s'active dans ce four brûlant, doux comme de la soie, humide comme un été... mon enfance me quitte dans de doux spasmes d'empereur.
Dés lors nos ébats terminés, la femme se lève et me laisse, sans un mot, sans un bruit, me laissant jusqu'au bandeau sur les yeux.
Mes cinq sens en ébullition, je me lève péniblement du lit.
Elle me laisse seul.
Cinq sens.
Cinq sens pour passer de l'enfant à l'adulte.
Sans intermédiaire.
Pas d'adolescence.
Une sublimation, en quelque sorte.
La sublimation grâce à mon toucher, ma vue, mon ouïe, mon odorat, mon goût...
J'ai l'impression d'être uniquement et seulement ces cinq sens.
Je suis un polygone d'amour, me dis-je.
Je me mets à rire.
Puis à écrire. « Que je la considère plus belle que Tlazolteotl/ne devrait-il me semble pas la glorifier/Qu'elle soit belle, passons, je l'aurais aimé fût-ce/Pachamama, une nymphe, ou une fille de joie/Je ne suis, que je sache, pas un sycophante/mais à ce jour béni par les dieux réunis/Je me dois de crier haut et fort par ici/Que sans cette femme-là, que la lumière enfante/Je serai aujourd'hui un simple miséreux/Un oublié d'amour, empereur malheureux. »
35 ans ont passé.
Je me lève ce matin, et regarde le ciel.
Je sais qu'un nouveau jour se lèvera bientôt, et je ne veux pas voir mon empire tomber.
Car je sais qu'il tombera.
Je n'ai pas encore désigné de successeur.
Je sais qu'il tombera.
On parle de plus en plus des espagnols, à Cuzco.
Aïe !
Oh, cette douleur !
Je l'avais oublié...
Je ne savais pas que je tomberai avant l'empire...
Aïe...
Maudite douleur au côté droit.
Texte écrit par Toma