Stigmata Doloris 2008
Textes 6 - Dragon Lady...
C'était l'heure du thé dans cet endroit raffiné que le voyageur avait trouvé le long de sa longue route.
Les joueurs de ma-jong arrêtaient le temps en pratiquant le silence tandis que dans la cour carrée aux colonnes laquées, des philosophes à fine barbiche fumaient du tabac gris dans de longues pipes à fourneau d'argent.
Dans leur cage, les rossignols agités rivalisaient par leur chant, et une odeur douceâtre emplissait l'air d'automne.
Exténué par un long périple, l'homme s'était laissé tenté par la rumeur, celle d'un endroit plein de sensualité et de désirs pour qui savait attendre.
Attendre, un moindre mal pour celui qui « vagabond des mots » redécouvrait à chaque fois les vertus de la solitude durant ces heures de cheminement.
Une jeune femme aux allures équivoques servait l'eau chaude d'une bouilloire et, frôlant chaque homme quel que soit son âge, en faisait un galant potentiel.
Sa longue robe de soie fendue laissait entrevoir de fines jambes corsetées de bandes de cuir souple comme d'autant de serpents qui montaient à l'assaut de plaisirs divins.
Les tasses en fine porcelaine décorées de motifs bleus restaient en suspens quelques instants dans la main des invités et autres convives, avant d'être vidées lentement d'une façon gourmande par ces amateurs éclairés.
Le voyageur, les yeux mi-clos observait la servante qui jouait les hôtesses soumises avec un parfait naturel.
Sous sa longue robe de soie un faisceau de désirs troubles se cachait, appât pour des âmes vertueuses ou remèdes pour des âmes tourmentées.
Tous savaient que Tsing était une redoutable créature, mante de plaisir, dévoreuse d'hommes et déesse des plaisirs les plus insensés.
En cachette, lors d'un précédent voyage dans la capitale du Sud, elle s'était fait tatouer un dragon torturé de désir dont la tête, partant de sa hanche, tentait de mordre la queue, dessinée à la hauteur de son pubis épilé et lisse comme une plaque de jade...
Lee, le voyageur égaré dans ces lieux, connaissait bien ce genre de femme, maîtresse d'elle-même et impossible à contrôler.
Tantôt sage et réfléchie, tantôt stratège démoniaque, elle n'avait de plaisir qu'a brûler les imaginations avant de consumer les âmes.
Tsing chantait à merveille et s'accompagnant d'un petit tambourin, elle suggérait des caresses et des coups à main plate, comme des gifles sur les fesses ou des griffures le long du dos.
Une invitation qui en disait long sur ses désirs de maux puissants que seul des sages ou des fous pouvaient combler.
Le temps 'écoulait lentement, très lentement dans la cour, et la nuit surprit les convives et autres âmes errantes alors qu'au loin les lanternes des maisons de thé rougeoyaient depuis longtemps.
Lee ne partit pas.
Il attendait...
Enfin seul, il rêvait tandis que le son d'un grelot l'arrachait à l'obscurité, lui indiquant qu'un repas était servi dans l'alcôve de Tsing et qu'elle était prête pour qui avait pu attendre...
Un rideau pourpre s'écarta laissant entrevoir une robe à demi-ouverte, un corps de dragon torturé et deux globes laiteux enfin libéré de leur bandage.
Lee admira.
Il se glissa tel un félin...
Les jeux de la becquée et les coupes d'alcool se succédaient jusqu'à ce que l'ivresse et le désir se mêlent comme une fermentation de thé rouge, ce thé si sombre que les occidentaux venus de si
loin qualifiaient de noir.
Lee attaché à Tsing, se laissa martyriser avec délectation jusqu'à la petite mort...