Mardi 1 novembre 2 01 /11 /Nov 16:28

 

 

 

                         Illustration de Boris Vallejo

 

 

La prisonnière de Qubilaï

 

"Nos descendants se vêtiront d’habits dorés, mangeront des mets gras et sucrés, monteront d’excellents coursiers, presseront dans leurs bras les plus belles femmes et oublieront qu’ils nous le doivent. Gengis Khan, d’après l’historien persan Rachid al-Din."



Les Mongols ont planté leur camp devant les murailles de Samarcande. Pendant les préparatifs, les tambours de guerre résonnent en continu, ils sèment l’effroi chez les défenseurs, leur rythme lent et obsédant prépare les assaillants à une mort glorieuse de guerrier, demain ce sera l’assaut.



Qubilaï est un général de quarante-cinq ans, il n’a jamais connu que la guerre et a vécu l’essentiel de son temps à dos de cheval. Le soir au campement, c’est la veillée d’armes, devant un grand feu il raconte aux plus jeunes ses souvenirs de campagne et toute la prodigieuse ascension de Gengis Kahn. Il retrace tous les succès de la horde mongole, partie de si loin et qui a déjà conquis la moitié de l’univers connu.



Qubilaï est un compagnon d’enfance du grand Khan. Il se souvient de lui lorsqu’il ne s’appelait encore que Temünjin, le fils d’un chef assassiné, contraint de fuir son clan avec sa mère et de survivre en nomade dans la steppe. Il n’a pu réchapper de ce sort que grâce à la famille de sa femme Börte qui lui avait été promise étant enfant et qui l’a toujours aimé. Pourtant le chef des Mekrits convoitait cette belle fille, il l’a enlevée de force en attaquant son misérable campement. Qubilaï raconte comment Temünjin s’est d’abord vengé des Mekrits, en les tuant tous pour libérer sa femme. À vingt-deux ans il avait pris la tête d’une peuplade mongole pour aller massacrer les Tatars, ce peuple de traîtres qui avait empoisonné son père lors d’un banquet. Puis il y avait eu les guerres pour unifier les peuples mongols et son sacre comme souverain universel où il avait pris le nom de Tchingis Kahn – Gengis Kahn.



Gengis Kahn a toujours puisé dans la vengeance sa force et sa détermination. Il fut aussi impitoyable pour les Xia et les Jins, de la Chine du nord qui ont toujours joué des rivalités entre les peuples nomades pour exacerber leurs rivalités et les dominer. C’est une vengeance encore qui poussera la horde mongole vers l’ouest. Alors qu’il conquiert la Chine un peuple allié, les kara-kitaï, le trahit. Gengis Kahn abandonne sa campagne en Chine pour venir se venger de ces traîtres. Averti de sa manoeuvre, le peuple du Kara Kitaï fuit vers l’ouest mais Gengis Kahn, irascible, les poursuit partout. Il couvre des milliers de kilomètres, son armée de cavaliers bouscule les royaumes qui tentent de résister. Cette course folle, cette chasse aux fuyards l’amènera jusqu’aux confins du grand royaume de Khwarezm, (*) il s’est vengé en tuant tous les traîtres jusqu’au dernier, il a parcouru cinq mille kilomètres et il va refaçonner le monde.



Qubilaï raconte aussi que c’est pour avoir capturé une caravane mongole que le sultan Ibrahim, qui règne sur le Khwarezm, s’est attiré les foudres de Gengis Kahn. Pourtant juste un misérable butin pour l’un des souverains les plus riches au monde dont la capitale Samarcande fait l’admiration de tous les voyageurs. Mais devant cet affront, à des milliers de kilomètres de ses bases Gengis Kahn lui promet une vengeance terrible. Le sultan se moque de cette troupe de cavaliers nomades. Que peuvent-ils contre sa puissante armée et ses forteresses inexpugnables ?



En vieux militaire Qubilaï raconte la campagne de Gengis Kahn. Devant une armée dix fois plus nombreuse les Mongols ont encore joué de leur ruse et de leur mobilité. Ils ont attaqué par petits groupes par le sud, forçant les troupes du sultan à se déployer sur un territoire immense pour protéger sa capitale Samarcande. Mais le gros de la troupe mongole a réussi à traverser par le nord un désert que le sultan pensait infranchissable. Il a sous-estimé l’endurance et l’intrépidité des Mongols. Ils ont assailli par surprise l’impressionnante forteresse de Samarcande, ses murailles et ses tours de garde, à peine défendues qui s’étendaient sur plus de dix kilomètres.

 

- C’est ainsi que demain nous donnerons l’assaut, conclut Qubilaï. Mais les habitants de Samarcande ne savent pas que nous disposons d’une arme redoutable.


Le lendemain matin dès l’aube une série de violentes explosions retentit qui sema la panique chez tous les habitants de la ville assiégée. Une section d’artilleurs chinois, que Gengis Kahn avait fait prisonniers lors de la prise de Pékin, avait enfoncé une porte de défense en utilisant deux canons fabriqués par les Chinois qui avaient été transportés jusque-là.


Lorsque la fumée se dissipa et que les hommes du génie, armés de haches, firent s’effondrer ce qui restait de la porte massive, Qubilaï vit quelques défenseurs se porter sur la brèche. Il poussa son cri de guerre pour lancer l’assaut avec sa troupe de cavaliers. Au galop les chevaux sautèrent pour franchir les débris de la porte et se ruèrent à travers la ville. La population terrorisée poussait des cris d’effroi, une clameur montait de partout et les farouches Mongols avec leurs arcs courts tiraient sur les soldats comme sur les civils, massacrant tout le monde sur leur passage. Des milliers de cavaliers déferlaient maintenant à travers la ville.


Les guerriers mongols chargeaient plein de fureur et une sorte d’ivresse les prenaient devant ce qu’ils découvraient. Ils venaient de l’austère steppe, ils avaient traversé un désert aride pour parvenir jusqu’ici. Et derrière les puissantes murailles se dissimulaient des palais somptueux, de vastes mosquées couvertes d’émail bleu, des arbres centenaires qui ombrageaient de vastes allées, un fourmillement d’échoppes d’artisans et de marchés aux étals somptueux. La ville fortifiée était si vaste qu’à l’intérieur il y avait des écrins de verdure, d’herbe tendre, des cours d’eau qui descendaient des montagnes du Pamir. On y trouvait un amoncellement de richesses ; tous les trésors de l’Asie et de la Perse étaient là, entassés dans une opulence inouïe. La richesse, la fraîcheur, la bousculade de visions colorées, l’entremêlement d’odeurs sensuelles, tout cela donnait aux cavaliers qui ravageaient la ville une vision hallucinatoire. En chargeant à travers Samarcande, ils pensaient s’être ouvert les portes du paradis céleste tant le décor leur semblait irréel. Leur horde guerrière qui déferlait ravageait le paradis.


Les cavaliers se scindaient en petits groupes qui se répandaient partout à travers la ville. Qubilaï, à la tête d’une trentaine de cavaliers, fonça à travers un marché richement approvisionné où foisonnaient sur les étals la soie venue de Chine, les étoffes venues d’Inde, les pistaches d’Ispahan, les raisins de Turfan, les cerises de la Fergana et les figues des vergers de Songdhiane, l’orfèvrerie de Kashgar. La troupe, dans la puissance féroce de sa charge, bousculait tout sur son passage et les tissus somptueux, les fruits, les épices étaient répandus par terre ; cette bouillie colorée, martelée par les sabots des chevaux, se mêlait au sang des fuyards transpercés par les flèches mongoles.


La troupe de cavaliers s’engagea alors dans une vaste allée bordée de jardins spacieux avec des mares couvées par les saules pleureurs, des cyprès taillés dans des formes animales. Ils longèrent ensuite des parc à bestiaux avec des chevaux, des boeufs, des dromadaires. Tous ces voyageurs infatigables de la route de la soie se rencontraient ici. Les animaux s’agitaient furieusement dans leur enclos, eux aussi étaient paniqués par la charge des chevaux mongols menaçants et écumants.


La grande allée menait à la place de la mosquée, où une foule apeurée s’était réfugiée pour prier et demander la protection d’Allah. Qubilaï fonça à travers la foule et de son sabre il tailla en pièces les prieurs qui imploraient sa clémence. Devant la façade de la grande mosquée du Registhan, son cheval se cabra. Sur le portail en ogive, de chaque côté, deux panthères gigantesques étaient prêtes à bondir. Le vaste porche était décoré de faïence, il était encadré de deux gigantesques colonnes et de deux dômes latéraux qui étaient complètement recouverts d’émail bleu.


Un guerrier mongol arriva vers eux au galop. Il leur dit « venez avec moi j’ai trouvé où se trouve le palais du sultan ». La troupe de Qubilaï le suivit au galop. Devant le palais ils mirent pied à terre.


Ils traversèrent le vaste jardin, les murs croulaient sous les frondaisons des glycines, un grand carré d’amandiers occupait le centre et de l’autre côté, près des bâtiments, une fontaine ruisselait à l’ombre d’un noyer . Des gardes sortaient du palais mais les flèches mongoles les transperçaient avant qu’ils aient pu se mettre à couvert des arbres. La terreur pétrifiait les défenseurs et la troupe pénétra dans le palais, massacrant tous les hommes et toutes les femmes trop vieilles ou trop laides pour servir la lubricité des guerriers. Ils pénétrèrent dans un harem, des femmes superbes vêtues de soie fine couraient dans tous les sens. Les guerriers mongols en riant leur couraient après les traquant et jouant avec ces proies faciles puis les attrapaient pour les violer.



Qubilaï pénétra dans une pièce couverte de livres, un vieillard pétrifié se cachait sous une table. D’un coup de pied il le fit rouler à terre. Le vieillard lui parla en mongol, il le supplia de ne pas le tuer, il était interprète et parlait assez bien leur langue. Interpellé Qubilaï l’écouta.


- Laisse-moi la vie sauve et je te dirai un secret qui fera ton bonheur.


Qubilaï acquiesça de la tête. L’interprète lui dit :


- Vous pillerez tous les trésors de la ville et ce soir tu seras couvert d’or, mais si tu me fais grâce de la vie je te montrerai où se cache la plus belle femme du monde et l’amante la plus convoitée et la plus voluptueuse de Samarcande. Elle est l’épouse d’un des fils du sultan, le prince Wazem. Du jour où le prince la connut, il décida de révoquer son harem de cinquante charmantes jeunes femmes car aucune d’entre elles ne pouvait surpasser la belle Ishtar.


Qubilaï avait une nature impétueuse et un goût insatiable pour les femmes.


- La plus belle femme du monde? demanda-t-il intrigué.

- C’est une Circassienne, elle vient de ces régions très à l’ouest où les femmes ont des cheveux d’or, répondit le vieillard.


Qubilaï qui n’avait jamais vu de blonde connaissait la légende de ce peuple occidental, de ces femmes qu’on disait magnifiques, de leurs yeux en amande, de leur peau blanche et de ces cheveux qui avaient la couleur de l’or.


- D’accord pour le marché, dit Qubilaï intrigué.


Le vieux traducteur le conduisit alors avec six de ses hommes au travers des couloirs du palais.


-  Elle se cache dans cette pièce avec le prince, indiqua la vieillard.



Ses hommes enfoncèrent une lourde porte barricadée en bois de pins. La porte s’effondra sous les coups de boutoir et Qubilaï vit dans une vaste pièce un prince très beau qui protégeait dans ses bras une femme superbe. L’homme sortit son épée et se jeta au-devant de la troupe mongole. La femme, grande et stoïque, restait en arrière près du balcon. Le prince était de haute stature, musclé et souple, il sauta prestement vers l’avant et tua d’un coup de son sabre un premier guerrier mongol. Deux archers le pointaient mais Qubilaï retint ses hommes. Il s’approcha de lui, il adorait la lutte et avait là un ennemi à sa mesure, il voulait se mesurer à cet homme.



Les guerriers mongols reculèrent, le prince Wazem se tenait farouchement posté à quelques mètres devant son épouse. Les deux hommes se battirent ardemment pendant plusieurs minutes, leurs épées s’entrechoquaient puis, alors qu’ils croisaient le fer, par une feinte le rusé Mongol tourna sur lui-même et assomma le prince d’un coup de coude au visage. Il plaqua alors son adversaire à terre, lui releva brutalement la tête en le saisissant par les cheveux. Il plaça son épée sous sa gorge et fixa sa femme. Elle était d’une beauté irréelle. Altière et fière, elle soutenait le regard du Mongol. Qubilaï détaillait sa haute chevelure blonde, son corps sensuel moulé dans une tunique de soie blanche, les colliers d’émeraude et de perles qui ornaient sa poitrine. Le vieillard n’avait pas menti, il n’avait jamais vu une aussi belle femme. Mais ce qui l’impressionnait surtout c’était ce regard bleu faïence, ce regard indompté et sans peur. Dans les yeux de toutes ses victimes aujourd’hui il avait lu la terreur, mais elle, elle ne le suppliait pas, elle le fixait avec un regard de courage, de haine froide et de mépris. Qubilaï la fixa longtemps, un peu hébété par sa beauté et par l’impression de force et de distinction qui émanait de cette femme.



Avec un rictus cruel il trancha la gorge du prince en la regardant droit dans les yeux. Elle vit son mari mourir mais ne pleura pas, soutenant toujours le regard du Mongol ; ses yeux s’injectaient de haine.



Les hommes se précipitèrent vers la femme, lui déchirant ses vêtements pour la violer. Qubilaï se rua vers eux, il envoya rouler deux hommes en deux coups de poing, les autres stoppèrent net. Cette femme il la voulait pour lui, il voulait dompter cette beauté arrogante.

 

Le lendemain, les troupes mongoles parachevaient la destruction de Samarcande. Ils pillaient tout et détruisaient systématiquement toutes les splendeurs de la ville, brûlaient les palais et massacraient tous les fuyards qui s’étaient terrés dans d’improbables cachettes. Ils faisaient partout régner la terreur et la mort.



En début d’après-midi Qubilaï avait convoqué sa prisonnière pour un entretien dans le jardin du palais. Elle arriva richement apprêtée, plus superbe encore que la veille, sa démarche souple et sensuelle, son allure altière, sa parure à la fois légère et raffinée qui soulignait sa silhouette parfaite et faisait ressortir le bleu faïence de ses yeux. Le visage fermé, le port de tête très distingué elle s’assit sur le banc comme les deux gardes lui enjoignaient de le faire. Qubilaï était déjà installé avec l’interprète sur ce banc à l’ombre des amandiers, la musique douce de la source apportait un peu de fraîcheur dans la touffeur du début d’après-midi.


- Comment t’appelles-tu ? commanda Qubilaï. Ishtar ne répondit pas, le visage moulé dans un masque de mépris.

- Je sais que tu es Circassienne, que tu t’appelles Ishtar et que tu étais l’épouse du prince Wazem.


L’interprète traduisait mais la belle restait figée dans sa morgue.


- Aujourd’hui les Mongols sont les nouveaux maîtres de la ville et je veux que tu deviennes désormais une de mes épouses.



Elle ne cilla pas même des yeux.


-  Nous sommes les maîtres de l’univers et toi tu as trouvé ton nouveau maître.


Ishtar parla enfin, elle dit une phrase en persan. Qubilaï, curieux, attendit la traduction de l’interprète.


- Toi qui de l’univers en marche ne sais rien, tu es bâti de vent et par suite tu n’es rien.


Qubilaï regarda l’interprète, interloqué.


- Qu’est-ce qu’elle raconte? Qu’est-ce que cela veut dire ? Comment ça je ne suis rien, je suis le meilleur général du maître de l’univers et toi, esclave, tu me fais l’affront de m’insulter !


L’interprète ajouta :

 

- Grand maître, elle cite un vers d’un de nos plus fameux poètes, Omar Khayyam. Il a vécu il y a trois siècles ici à Samarcande. Je sais que le prince Wazem et Ishtar aimaient particulièrement sa poésie. Le prince s’enorgueillissait de connaître par coeur toutes ses robbayat. (**)

 

- Dis-lui que c’est une passion de femmelette et que la poésie fait des hommes efféminés, s’emporta Qubilaï. Peu importe ce poète mort il y a trois siècles, c’est maintenant qu’elle deviendra ma femme et qu’elle va me servir pour le restant de ses jours.



Malgré le doux parfum des bosquets, l’air était lourd, le vent ramenait l’odeur âcre des incendies qui partout consumaient la ville et des relents de putréfaction des cadavres entassés dans les rues.


- Vous êtes des conquérants, lui dit-elle, mais vous ne laisserez rien dans les siècles. Comme disait le poète : « Avant notre venue, rien ne manquait au monde, après notre départ rien ne lui manquera ». Vous serez vaincus un jour et vous passerez. Il ne peut rien naître de bon de votre cruauté. Comme l’a écrit notre grand poète Omar Khayyam : « La roue de la vie est pareille à une lanterne magique, vous êtes des images qui passent ».



Furieux, Qubilaï se leva et passa derrière elle. De sa main droite, il avait saisi son poignard et menaçait de lui trancher la gorge, tandis que sa main gauche s’était glissée dans la tunique d’Ishtar pour lui palper lubriquement le sein.



Avec une voix déterminée, elle lui dit :


- Tu peux me violer, Mongol, mais tu ne me posséderas pas. Vous êtes la honte de l’univers, je déteste votre cruauté et chacun de mes regards pour toi sera comme un crachat de haine.



Il pressa un peu plus le poignard et lui dit :


- Je devrais te violer ici tout de suite puis te trancher la gorge.

 

- Je n’ai pas peur de mourir, dit-elle, tu as tué mon bien-aimé et je ne tiens plus à la vie. La vie n’est rien, pas plus la tienne, Mongol, que celle des plus grands poètes, tu triomphes aujourd’hui mais toi aussi comme le disait Omar Khayyam : « Tu n’es qu’un pont entre deux vides ». Ton heure de mourir viendra aussi, vermine, et le monde en sera soulagé.



Quelle impertinence ! Alors que lui le général mongol venait de triompher de manière éclatante, que les habitants terrorisés imploraient son salut, elle osait l’insulter en soulignant toute l’insignifiance de sa vie. Relâchant son étreinte Qubilaï la repoussa et lui dit :


- Toi, femme trop belle et trop arrogante, je te dompterai, je te briserai et tu te soumettras à la force mongole.

 

Après plusieurs jours de saccage, de meurtres et de viols, Gengis Kahn ordonna au gros de sa troupe de poursuivre la conquête du Khwarezm. Le sultan s’était lâchement enfui de sa ville pendant le siège, laissant ses habitants seuls à leurs supplices. Ses troupes désorientées se rendaient par milliers. Gengis Kahn voulait parachever la conquête des autres parties du royaume mais surtout, comme un chasseur obstiné, il ne voulait pas lâcher sa proie et les cavaliers mongols se mirent sur la piste du sultan pour le retrouver et le mettre à mort.


Qubilaï avait reçu un riche butin pour son action et son courage lors de la prise de la ville. Une grande caravane s’était formée avec des boeufs et des chevaux qui tiraient des roulottes pour transporter toutes les prises de guerre. Une cohorte d’esclaves suivait les roulottes remplies de bijoux, de pierres précieuses, de vaisselle d’or et d’argent, d’amoncellement d’étoffes et de lourds tapis de Perse. Qubilaï avait plusieurs roulottes pour acheminer tout son butin jusqu’à son campement loin dans la steppe, près d’Astana.


Il avait installé Ishtar dans une roulotte et confié sa belle prisonnière à un de ses lieutenants Kashgir et à sa femme Djébé. Il faudrait plus d’un long mois de voyage pour arriver au campement de Qubilaï. Pendant qu’il continuerait sa campagne, il voulait que le couple s’occupe de sa prisonnière. Surtout il voulait qu’elle soit très bien traitée, qu’on lui offre la plus belle yourte, qu’on lui prépare les aliments les plus fins, que l’on mette des esclaves à son service.


Il exigea aussi que lorsqu’ils seraient arrivés au campement, on l’installe dans une vaste yourte richement apprêtée mais que Kashgir et Djébé la surveillent et dorment dans la même yourte. Qubilaï savait que Kashgir avait une solide réputation d’étalon, les femmes de la tribu le tenaient pour l’homme le plus puissamment membré. Devant ses amies, sa femme Djébé flattait la virilité de son époux qui lui donnait tant de plaisir. Elles la jalousaient car souvent pendant la nuit au campement, les cris de son plaisir se mêlaient aux hurlements des loups.



Le long voyage se fit sans encombre. Ishtar se murait dans un silence de pierre mais elle acceptait la nourriture et les soins qu’on lui prodiguait. La longue caravane traversa la steppe puis se démembra petit à petit, à mesure que des groupes se détachaient pour aller rejoindre leurs campements. Après une longue route, les prisonniers et le butin arrivèrent enfin au camp de Qubilaï. C’était un campement d’une quarantaine de yourtes, les autres guerriers s’étaient essaimés dans des campements semblables tout au long de la steppe.



Quand ils furent arrivés Kashgir et Djébé firent aménager la yourte la plus belle comme Qubilaï leur avait demandé. Ils l’emplirent de tapis, de peaux de bêtes, de vaisselle d’or. Ils installèrent aussi, parmi les plus belles pièces du butin, un vaste lit à baldaquin recouvert de feuilles d’or, une baignoire en cuivre incrustée de pierres précieuses. C’est là qu’ils garderaient Ishtar prisonnière.

Elle pouvait aller librement dans la journée, l’immensité de la plaine lui servait de prison, la certitude d’être vite rattrapée par ces cavaliers émérites suffisait à la dissuader de s’enfuir. Elle se sentait si loin de chez elle, si loin de Samarcande, si loin de la Circassie de son enfance. Elle avait été faite prisonnière par les Persans, puis choisie pour sa grande beauté pour rentrer dans le harem du fils du sultan. Au début elle avait eu peur de lui, mais il s’était montré patient et délicat. Elle était tombée amoureuse de cet homme puissant qui possédait toutes les richesses mais qui la regardait comme si elle était la chose la plus précieuse qu’il y eut dans sa vie. Il délaissa pour elle ses cinquante autres épouses car aucune ne le transportait autant qu’Ishtar.



Elle se donnait à lui avec plus de passion que jamais. Après avoir fait l’amour, il posait sa tête sur son ventre et lui disait des quatrains d’Omar Khayyam, elle l’écoutait en lui caressant les cheveux. Elle prit goût au plaisir dans les bras de son prince, qui toujours se souciait de l’éveiller par mille caresses. Souvent elle repensait à leurs moments d’amour, à la sensualité qui s’épanouissait, puis après les accès de fièvre, la voix mélodieuse du prince Wazem qui lui murmurait des vers : « Sois heureux dans l’instant car cet instant c’est ta vie » ou encore : « Hier est passé, n’y pensons plus, demain n’est pas encore là, n’y pensons pas. Pensons au doux moment de la vie qui s’appelle le présent ». Le matin en se réveillant il lui susurrait à l’oreille :


-  Debout ma belle. Comme dit le poète, la nuit n’est que la paupière du jour.


Sa vie avait été heureuse avec son prince, éblouissante et raffinée à la cour du sultan dans l’opulence de Samarcande. Ce rêve avait brutalement cessé le jour où la horde barbare avait ravagé la ville et tué son amour. Elle ne connaîtrait jamais plus le bonheur, un vers d’Omar Khayyam l’obsédait maintenant qu’elle était prisonnière des Mongols et qu’elle savait que jamais plus elle ne serait heureuse : « Un coquelicot fané ne refleurit jamais ».


Les esclaves des Mongols lui préparaient chaque jour un bain chaud dans la vaste baignoire de cuivre. Après son bain, elles s’affairaient autour d’elle pour la coiffer, la parfumer, l’habiller en changeant plusieurs fois par jour ses tenues, toutes plus superbes les unes que les autres. Chaque nuit on allumait un brasero et des lampes à huile qui baignaient la pièce d’une lueur rouge. Une lourde tenture de velours carmin séparait son lit de celui de Kashgir et Djébé. Tous deux avaient l’ordre absolu sous peine de mort de ne pas toucher à Ishtar. Qubilaï la voulait seulement pour lui. Dans la nuit Ishtar entendait leurs ébats, les petits rires étouffés, le bruit de baisers et de succions. Puis les bruits devenaient plus saccadés, elle imaginait Djébé chevauchant son amant, empalée sur son énorme sexe. Un long râle montait progressivement puis Djébé jouissait fort et hurlait son plaisir, c’était comme le cri d’une bête sauvage.


Après leurs ébats bruyants Ishtar avait souvent des pensées érotiques. Elle sentait la chaleur gagner son corps et le bout de ses seins se tendre. Elle fermait les yeux pour s’abandonner à un rêve érotique où le prince Wazem la caressait. Elle se remémorait toutes ses nuits d’amour à Samarcande quand il la comblait. Elle revoyait comme au milieu d’une fièvre leurs deux corps enlacés tête-bêche quand il lui lutinait son sexe, tous les deux rivalisant de douceur, elle suçait son sexe tendu et sentait alors le corps de son amant trembler sous ses doigts. Elle se masturbait alors lentement et étouffait les petits cris de son plaisir qui étaient couverts par le ronflements repus de ses voisins.

 

Qubilaï galope dans la plaine infinie, dix hommes de son escorte le suivent à ce rythme effréné. Quinze jours déjà qu’ils galopent ainsi, chaque homme possède trois chevaux pour disposer toujours d’une monture fraîche. Ils dorment en selle, se nourrissent en selle d’un peu de viande séchée. Ils ne s’arrêtent brièvement pour camper qu’un jour sur deux et traversent à un train d’enfer l’immensité désolée de la steppe. Ces longues cavalcades à cheval dans la plaine sont les moments que Qubilaï préfère. C’est ainsi qu’un Mongol se sent le plus heureux, ivre de liberté, à la poursuite du vent dans la steppe immense aussi vaste qu’un océan. Le grand Kahn, lorsqu’il a été sacré empereur, a d’ailleurs pris le titre évocateur de Tchingis Qaghan (Gengis Kahn), le « souverain de l’océan » en mongol.


Pendant ces longs galops, il sent la force de sa monture sous ses jambes, le jeu de sa musculature souple comme si c’était celle de son propre corps. C’est avec Thullarg, son cheval préféré, qu’il sent la plus forte complicité. Ils ont passé tant de jours ensemble que son cheval est devenu un compagnon qui comprend ses humeurs et qui devine ses intentions avant même qu’il presse sur la bride. C’est le cheval le plus intelligent, le plus rebelle et le plus fougueux qu’il ait jamais dompté. Qubilaï a eu beaucoup de difficultés à le dresser, plusieurs fois le cheval l’avait jeté à terre. Il se cabrait et battait des pattes avant dès que Quibilaï rentrait dans son enclos. Mais avec beaucoup de patience, de force et d’obstination, le cheval a fini par le reconnaître comme son maître. Qubilaï se souvenait de la joie qu’il avait ressentie quand pour la première fois, Thullarg s’était soumis. Il avait senti les muscles puissants du cheval répondre précisément à la moindre pression de ses cuisses. Depuis ils avaient parcouru ensemble des milliers de kilomètres, combattu ensemble dans des centaines de batailles, Thullarg lui avait sauvé de nombreuses fois la vie, un écart au dernier moment lui permettant d’éviter une flèche traître ou une pointe de lance qu’il n’avait pas vue. Qubilaï se sentait attaché à son cheval comme s’il était son meilleur compagnon d’armes, ils avaient aussi cette complicité fusionnelle des corps, une façon de ressentir subtilement le corps de l’autre qu’il n’avait que rarement connu avec une femme. Les jours où sa nature mélancolique et violente le rendait d’exécrable humeur il partait pour de longs galops à travers la plaine avec son compagnon fidèle.



Ils s’arrêtèrent dans la nuit pour camper. Devant le feu Qubilaï était songeur et rompu. La campagne militaire du Khwazerm était finie, jamais il n’avait ramené d’aussi riche butin; même le pillage de la Chine n’avait pas été aussi fructueux. Gengis Kahn l’encensait, le donnant toujours en exemple et le tenant pour un de ses meilleurs généraux. Pourtant il se sentait las de toutes ces guerres, les odeurs âcres et putrides de tous ces massacres lui revenaient et lui donnaient la nausée. Il n’avait que faire de tout cet or, de ces tapis de ces bijoux. À quarante-cinq ans il avait l’impression d’avoir parcouru tout l’univers pour semer partout la mort et la désolation.



Durant toute sa vie il avait toujours aimé dominer ; déjà adolescent sa force impressionnait, dans les parties de lutte il écrasait ses adversaires. Depuis il avait dompté des dizaines de chevaux et tué des centaines d’hommes. Pourtant il repensait à la belle Circassienne qui se moquait de sa force et qui le méprisait. Les quatrains qu’elle lui avait répétés à chacune de leurs entrevues s’étaient instillés en lui comme un poison. Parfois, pendant les chevauchées solitaires, lui revenait le poème qui rongeait son cœur comme un ver : « Tu n’es qu’un pont jeté entre deux vides » et cette mélancolie minait secrètement son moral.



Lui qui n’avait jamais douté, lui qui avait vécu toute sa vie dans le tourbillon de l’action et de la conquête, lui Qubilaï, le général glorieux, il ressentait pour la première fois le vertige du vide et la vanité de sa gloire et de sa richesse. Dans la nuit froide, il sentait une colère sourde monter contre Dieu. Il regardait le ciel étoilé qui lui rappelait la tenture misérable de la yourte de son enfance, piquée de trous elle laissait passer la lumière. Enfant il passait des heures à regarder cette tenture noire tachetée de petits points brillants. Il se demandait ce soir quel guerrier puissant avait bandé son arc contre Dieu et tiré ses flèches si haut dans le ciel qu’elles avaient percé la tenture noire de la nuit qui occultait le soleil.



Il se jeta un bol d’eau glacée sur le visage pour chasser ses pensées lugubres. Demain il serait à son campement. Ce qui le poussait à rentrer si vite c’était l’envie de retrouver cette Circassienne. Cette femme trop belle qu’il n’avait pas encore réussi à soumettre. Dans un sursaut d’énergie il sentit son désir de caresser cette femme à la peau blanche et au pubis d’or, de la posséder, de la dompter comme un bel animal. Dès demain il montrerait à cette princesse arrogante que la force mongole était maîtresse du monde.

 

Le lendemain matin ils galopaient impatiemment pour rejoindre le campement. À peine arrivé, il chercha Ishtar dans sa yourte luxueuse. Elle était assise dans une haute chaise de cuir et une esclave la coiffait. Elle lui parut encore plus belle que dans son souvenir. Elle était vêtue d’une lourde robe rouge décorée avec des arabesques de fil d’or, la couleur vive faisait ressortir sa peau blanche et ses cheveux blonds. Sans lui dire un mot il ressortit.



Djébé lui raconta que la chevelure blonde d’Ishtar avait fait l’admiration des vieilles du village qui n’avaient jamais vu de cheveux de cette couleur. Lorsqu’elle lâchait ses cheveux si fins dans le vent ils faisaient comme une auréole de lumière autour de son visage, les vieilles se disaient : « c’est sûrement une déesse de là-bas qui a été faite prisonnière. »



Il se reposa pendant toute la journée de son long voyage, le soir il fit venir Djébé et Kishgar. Il leur dit :


- Ce soir je veux jouir de ma conquête, je veux posséder Ishtar. Préparez une fête dans ma yourte, invitez des musiciens et des danseuses pour une bacchanale ; que l’on cuisine mes mets préférés et qu’il y ait beaucoup de cet excellent vin de Songhdiane.


Ainsi fut fait, et l’on s’affaira à préparer Ishtar. Des esclaves la vêtirent d’une tunique de soie blanche qui moulait son corps et laissait deviner ses seins. Elles la parèrent de riches bijoux et de parfums capiteux. Ishtar comprit qu’on la préparait pour le plaisir du guerrier. Son esprit essayait de rester calme, de ne surtout pas montrer sa faiblesse devant cette ignoble bête.


La nuit tombée, ainsi parée elle fut emmenée dans la yourte de Qubilaï. Elle retrouva le Mongol avec la même expression de haine froide qu’elle avait eu à Samarcande. Impassible à sa froideur, Qubilaï mangeait avec les doigts une préparation d’agneau grillé arrosé de vin de Songdhiane. De grands braseros surchauffaient la tente et des lampes à huiles la baignaient d’une lumière sauvage. Le sol était couvert de tapis et de peaux de bêtes. Les esclaves l’amenèrent près du fauteuil de Qubilaï et la firent tourner sur elle-même, la présentant comme une prise de guerre. La tunique légère cachait à peine son corps. Il avait demandé qu’elle porte cette tunique car il la retrouvait ainsi telle qu’elle lui était apparue la première fois. Elle le fixait, le regard plein de morgue et de mépris.


-  Tu es très belle et ce soir je te posséderai, lui dit Qubilaï. 

 

-  Tu me violeras mais jamais tu ne me posséderas, Mongol, lui répondit Ishtar.


Qubilaï claqua des mains et des danseuses nues sautèrent dans le centre de la yourte, des musiciens cachés derrière une tapisserie jouaient des airs endiablés pour accompagner leurs déhanchements. Djébé et Kishgar se mêlèrent bientôt eux aussi à la danse. Djébé tournoyait autour de son homme, lui ôtant à chaque passe un de ses vêtements. Quand il fut nu, chaussé uniquement de ses bottes, il se planta debout. Son gros sexe battait contre sa jambe et sa femme lascive se tenait derrière lui et simulait des caresses sur son torse, descendait le long de son buste, de ses cuisses, jusqu’aux talons, puis remontait. Elle jouait de ses mains devant son sexe, elle faisait semblant de branler son pieu au rythme de la musique et ces effleurements faisait bander Kashgir.



Ishtar détournait les yeux devant la répétition de ce spectacle lascif. Les petits yeux vifs et cruels du Mongol rayonnaient d’une lueur de jubilation. Subitement il claqua des mains, les musiciens et les danseuses stoppèrent net. Il se leva, fit le tour d’Ishtar, détaillant de façon impudique toutes les parcelles de son corps. Il sortit un couteau, à la lame courte et au poignet orné d’or et de saphirs. Il passa la lame sur les lèvres de sa prisonnière, la fit glisser sur le menton, s’attarda le long du cou. Ishtar ne bougeait pas, elle lui montrait encore une fois son courage, son indifférence devant la mort. La lame du couteau glissa jusqu’à une épaule et d’un geste rapide Qubilaï trancha le tissu qui retenait la tunique. Un sein se dévoila. Il coupa le cordon qui tenait l’autre épaule, et le haut de la tunique tomba sur la ceinture. Il découvrit deux seins magnifiques, pointés fièrement, lourds et doux à la fois. Ishtar portait un collier de grosses pierres précieuses avec des rubis, des émeraudes, des tourmalines. Il trancha le cordon et les pierres précieuses, glissèrent sur sa gorge, rebondirent sur ses seins et roulèrent par terre.



Il trancha ensuite la ceinture et le côté de la tunique, impatient de la découvrir complètement nue. Il s’assit de nouveau sur son fauteuil pour la contempler ainsi. Sur un signe de tête, une servante poussa Ishtar près de son fauteuil. Il prit une côtelette d’agneau qu’il mangea goulûment, il mastiquait en regardant fixement le pubis blond de sa prisonnière qui était à hauteur de ses yeux. Ishtar serra les dents mais réussit à ne pas trembler. Il ordonna qu’on se saisisse d’elle et qu’on l’installe sur une couche à mi-hauteur, recouverte d’une peau d’ours qui trônait devant son siège. Djébé et Kashgir se retirèrent, l’heure du viol tant redouté avait sonné. Elle réussit à faire abstraction de tout et à se détacher de l’horreur de l’instant présent.



Un instant après, Qubilai avait joui rapidement en elle. Il était lourd, comme un cheval fourbu écroulé sur elle. Elle fut prise d’un sentiment de vertige et de nausée, elle sentait en elle l’assassin de son époux. Elle sentait son sperme couler le long de ses cuisses, jamais elle ne s’était sentie aussi sale. Elle s’était mille fois préparé au viol, à la mort, mais pas à cette nausée gluante. Elle qui jusque là avait su être stoïque et courageuse, pour la première fois elle pleura.



Qubilaï se retira, il saisit une autre côtelette de mouton qu’il dévora puis il reprit son poignard serti de saphir et trancha les liens de sa prisonnière. Elle ne bougea pas, elle demeurait prostrée sur sa couche en pleurant sans bruit. Elle tourna le visage et serra la bouche, son visage ruisselait de larmes.



Qubilaï et Ishtar restèrent silencieusement seuls dans la yourte. Qubilaï avait sur le visage une mauvaise grimace, il se couvrit d’une peau de loup bleu et s’assit de nouveau sur son fauteuil. Il avait vaincu, il avait joui mais il se sentait vidé en cet instant. Dans cette lassitude d’après l’amour, il se sentait fatigué de ses conquêtes sanglantes, épouvanté par sa cruauté. Il avait encore une fois triomphé, il avait capturé ce bel animal et avait réussi à le briser. Le même robbayat d’Omar Khayyam le hantait : « Tu n’es qu’un pont jeté entre deux vides » , tout cela lui semblait vain. Il regardait cette femme souillée qui pleurait, les yeux vides. Devant ce vertige, il bondit de son fauteuil, souleva la tenture de sa yourte et sortit dans la nuit étoilée. Le froid lui ferait du bien, comme un bain glacé qui lui fouetterait le sang et dissiperait sa mélancolie. Il s’installa au sommet de la colline. La pleine lune éclairait la steppe, un vent léger faisait flotter les drapeaux sur sa yourte, les hautes herbes de la steppe ondulaient à l’infini sous la clarté lunaire. Il s’assit là pour contempler le paysage et malgré le froid il sentit le vide intérieur le gagner, une sorte de dégoût nauséeux de sa vie avec une odeur de mort et de putréfaction.



Il resta longtemps ainsi. Un moment il crut entendre un léger bruit, sans détourner la tête, avec son instinct de guerrier, il comprit. Il sut que Ishtar, nue, rampait à quatre pattes vers lui, à sa main le poignard décoré d’or et de saphir luisait sous la lune. Elle se glissait silencieusement à travers les hautes herbes comme une louve qui chasse sa proie. Elle avançait mais lui d’instinct sentait sa présence. Il aurait pu bondir, la désarmer et l’humilier encore pour la punir. Cependant il la laissa s’approcher, un rictus de dégoût barrait son visage. Quand elle se tint derrière lui, bandant ses forces pour l’attaque, il sentit son souffle court dans son cou. Il tourna à peine le visage de côté, puis fixa de nouveau la lune. Il sentit la lame froide lui plonger dans le dos et lui clouer le cœur. Il tomba à la renverse, son corps se raidit et le ciel étoilé se figea dans ses yeux sans vie.



À deux cents mètres de là, dans son enclos, son cheval Thularg poussa un long hennissement qui déchira la nuit glacée.



(*) Un royaume du nord de la Perse qui correspond aujourd’hui à l’Ouzbékistan.

(**) Recueil de quatrains.

 

 

Récit écrit par Stemcel erbluefox@gmail.com

Publié par Revebebe

Par Grand Nord - Publié dans : 5- L'empire de Qin... - Communauté : les blogs persos
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