Toni: - Je crois que personne n’aime vraiment la douleur.
Dan: - Quand je suis dans l’humeur qui convient, la douleur devient simplement très excitante et stimulante.
Mais la plupart du temps, ça me gêne, ça me porte sur les nerfs.
Norma: - C’est vrai, ça porte sur les nerfs, sur le moment, mais après, c’est excitant.
Le souvenir de la douleur, quand on la revit, c’est vraiment plaisant.
Ron: - Dans une certaine mesure, le dominateur qu’on a en soi jouit de sa propre souffrance plus tard, quand il se remémore la situation.
C’est vraiment une question de définition: le mot «masochiste» est péjoratif.
C’est très difficile de l’isoler de son contexte culturel.
Toni: - Je vois des gens qui se fourrent dans une série de mauvaises relations.
Le seul point commun, c’est que ce sont des masochistes.
Pour moi, c’est complètement absurde.
Ce ne sont pas des masochistes responsables.
Je peux rechercher un masochisme psychologique, non physique: l’humiliation et la dégradation.
Mais je ne crois pas que ce soit pareil que de démolir ma vie avec des relations mauvaises. C’est limité dans le temps et j’y trouve du plaisir.
Ron: - Pour moi, c’est un énorme stéréotype et une grossière erreur de penser que le masochiste est quelqu’un de tordu, d’horrible, qui a une mauvaise image de lui-même, qui a été un enfant battu, et toutes ces choses terribles qu’on entend dire.
Alors que je trouve les meilleurs masochistes, comme Norma ou Dan, extrêmement intelligents; ils ne se déprécient pas, ils savent vraiment ce qu’ils veulent et ce qu’ils aiment, ils se sont analysés en profondeur et ce sont des gens efficaces dans la vie.
Ils se réalisent.
Ils sont donc le contraire de ce qu’on pense des personnalités masochistes.
Quand on dit que les femmes sont masochistes, je crois qu’on parle de quelque chose de tout à fait différent de ce que nous vivons.
Toni: - Je me sens frustrée et je deviens affectivement instable quand mes besoins [sadomaso] ne sont pas satisfaits.
Ce qu’il y a d’ironique là-dedans, c’est que des gens «sains » voudraient me détourner de ça. Je suis vraiment malheureuse de ne pas pouvoir vivre suffisamment cette relation SM dans ma vie; quand j’éprouve ce manque, je ne fonctionne plus bien, je deviens grognon, sombre. C’est beaucoup plus pénible que l’anticipation, l’excitation de la douleur physique ou émotionnelle que j’ai eue envie de ressentir, plutôt que le manque, le vide de l’ennui.
Je voudrais revenir sur quelque chose: le mal qu’on fait à des gens qui ne veulent pas qu’on leur fasse mal.
Est-ce que c’est bien de jouer quand on en a ras le bol?
Généralement, quand je suis fâchée contre mon ami, je ne lui parle pas.
Je ne vais certainement pas le battre, je lui dis simplement qu’il est méchant et qu’il faut qu’il parte, qu’il parte le plus loin possible.
Norma: - Moi, d’un autre côté, il faut que je supplie Ron de me punir, parce que notre jeu ne tourne pas du tout autour de ça.
Si j’ai fait quelque chose de mal, je lui dis: «Tu ne crois pas que je mérite une punition? »
On se demande un petit peu si, en faisant ça, on ne renforce pas encore sa mauvaise conduite.
Ron: - Je suis content qu’on rie, mais c’est un problème sérieux.
J’ai été avec des gens masochistes qui ne fonctionnaient pas bien; je sais que s’ils peuvent vous entraîner dans un jeu de punition où vous êtes leur méchant parent abusif, ils vous provoqueront.
Vous répondrez.
Votre réaction intensifiera la provocation visant à vous faire réagir plus violemment.
Assez vite, votre vie devient un feuilleton.
Donc il est nécessaire, aussi désagréable que ce soit quelquefois pour le partenaire soumis, de choisir entre ces deux partis.
Il y a des choses qu’on fait pour le plaisir et d’autres pour arriver à vivre.
J’insiste pour que les gens avec qui je joue se disent: «Ce jeu S.M. ne m’est pas fait contre ma volonté parce que je suis une méchante fille, parce que je le mérite, parce que quelqu’un me force.» Non, non, non.
Il faut qu’ils entrent dedans.
Il faut qu’ils disent: «Oui, je veux ça.»
J’insiste là-dessus avec mes partenaires.
Je ne les punirai pas.
Je refuse de le faire.
Ça ne veut pas dire que je n’éprouve pas une excitation si je le fais.
J’adore l’impression formidable que j’éprouve quand je gifle quelqu’un dans un moment de colère. (Quand je joue, je ne frappe jamais personne dans un mouvement de colère.)
Mais, après, je me dis qu’on est tous les deux dans un sale pétrin.
Ça me fait sortir de mon rôle de faire ça.
Je n’ai jamais élevé la voix pendant une séance.
Si je criais contre quelqu’un, ça signifierait que j’ai perdu le contrôle de la situation, que je ne fais plus mon boulot, que je me contente de réagir.
Pam: - Je m’écarte de Dan si je suis en colère contre lui.
Il est masochiste.
Je me dis que si je le punis, ça va le faire jouir et je ne veux pas qu’il jouisse.
Est-ce que c’est un complexe, le fait d’avoir peur de me laisser aller et de le rouer de coups quand je suis vraiment furieuse contre lui?
Toni: - Quand j’étais petite, je n’avais pas de moyen intéressant de compenser les tensions de la culpabilité.
Ma famille était vraiment une famille « bien»: personne ne se fâchait réellement.
Si on commençait à se mettre en colère, c’était «fais pas ça».
Alors j’allais dans la salle de bains et je me frappais la figure jusqu’à ce que je saigne du nez rien que parce que j’avais besoin de déverser ma rage.
Et ça ne m’ennuyait pas du tout [de me frapper].
Ça me faisait peur [de ne pas être ennuyée].
Est-ce que je peux réellement faire ça?
On a le nez qui saigne et on ramasse le sang comme ça (elle fait une démonstration), c’est impressionnant comme expérience.
Et ça s’en va.
Ça ne laisse pas de cicatrices. (Ce n’était pas mon truc.)
Juste essuyer mon nez et sortir de la salle de bains.
Pam: - Dan a les organes génitaux percés.
Dan: - Au bout du pénis.
Ça s’appelle un Prince Albert.
Ça traverse l’urètre.
Et il y en a un en dessous, un trou perforé, un gros anneau passe dans cet anneau-là pour le relever.
Sinon, ça retomberait. Il y en a un qu’on appelle «geish», derrière les couilles.
Pam: - Et la plupart du temps, je le laisse verrouillé; quand je ne suis pas avec Dan, il est verrouillé.
Norma: - J’adore l’amphallang; là, on peut vraiment le sentir.
Toni: - Depuis l’âge de cinq ans, j’ai eu des migraines terribles.
On a d’abord pensé que c’était l’épilepsie et on l’a traitée avec toutes sortes de médicaments qui ne marchaient pas.
J’avais des maux de tête épouvantables.
Quelquefois, ça me faisait vomir; parfois j’avais des hallucinations: je dormais en tenant les barreaux ou le montant du lit pour pouvoir sentir quelque chose de réel dans ma main.
Parce que j’avais des hallucinations tactiles de choses dans mes mains.
Et quelquefois je me cognais la tête contre le mur pour chasser les trucs imaginaires et les remplacer par quelque chose dont j’étais sure.
Je ne sais pas exactement quel peut être le lien avec le S.M., mais en grandissant, je me suis mise à aimer certaines choses dans mes migraines.
Ce qui me plaisait, c’était que les sons, les images, tout paraissait étrange.
Mais je n’aimais pas vomir.
Je crois qu’il y a un lien, là, car aujourd’hui c’est a peu près les mêmes choses qui se passent pour moi quand éprouve une grande douleur physique, qu’elle soit déclenchée par moi ou autrement.
Je ressens certaines de ces sensations bizarres - différentes interprétations des sens - sans nausée, sans peur et sans avoir l’impression que ça va durer interminablement et qu’il faudra trois ou quatre jours avant que la migraine disparaisse.
Donc je ne sais pas, peut-être il pourrait y avoir un rapport.
C’est intéressant de savoir que des gens qui ont eu des problèmes de santé autrefois se tournent vers le sadomasochisme.
La douleur est tellement intense qu’on se dit qu’on va dégobiller ou s’évanouir.
J’ai pris des cours de karaté; le moniteur nous disait: «Si vous n’avez pas dégobillé ou si vous n êtes pas tombé dans les pommes, vous ne m’intéressez pas. »
Je me suis dit: «Génial! Regarde un peu jusqu’où j’ai pu aller.»
Une douleur physique qui n’est pas intense, quel intérêt?
Peut-être que le sadomasochisme, c’est d’arriver à dominer ce qui se passe dans son propre corps. [Les enfants qui ont été très violemment traumatisés tentent de se dissocier de leur douleur - de s’autohypnotiser - mais ils n’y parviennent que partiellement (contrairement aux personnes qui souffrent de troubles multiples de la personnalité).]
Ron: - L’inactivité à laquelle vous force la maladie offre de grandes possibilités de fantasmes.
Pam: - C’est ce qui est arrivé à Dan.
Il était tout le temps malade.
Norma: - Il n’y a rien de tel que de rester à la maison seul quand on est malade et que les deux parents sont au travail.
On peut faire tout ce qu’on veut.
Dan : - J’ai commencé à mettre tout ça sur pied.
Norma: - Ma mère travaillait dans l’artisanat.
Alors il y avait tout ce qu’il fallait autour d’elle [pour le sadomasochisme], c’était extra.
Pam: - C’est vrai pour Dan.
Un jeune, quand il se porte bien, on attend de lui qu’il fasse du sport, qu’il se mêle aux autres garçons, ce que Dan n’a pas pu faire à cause de sa mauvaise santé.
Il a donc pu donner libre cours à ses fantasmes de soumission masochiste, alors que ça n’est pas permis à la plupart des garçons.
Ils les ont peut-être, ces fantasmes, mais on ne les autorise pas à leur donner libre cours.
Mais Dan est différent, particulier dès le début.
Alors il a eu cette liberté.
Dan: - Nous tous ici, particulièrement ceux qui ont eu des problèmes médicaux, nous avons vraiment un contact avec notre corps.
Nous y pensons tout le temps.
Je ne crois pas que ce soit le cas de la moyenne des gens.
Moi, chaque jour, j’ai conscience qu’une partie de mon corps est mal à l’aise ou a un problème.
Norma: - Ça peut arriver qu’on ait un problème [physique] réel.
La manière dont on l’interprète dépend de l’attitude qu’on a vis-à-vis de son corps.
Si on a très mal - les contractions menstruelles font très mal - on peut en profiter pour faire des choses vraiment intéressantes [avec les fantasmes].
Ou si on a la vessie pleine.
Une femme normale ne se sert pas de sa vessie pleine comme stimulation érotique («Je ne vais pas pisser, c’est trop bon comme ça» alors que n’importe qui bien dans sa tête et qui a mal comme ça pisserait).
Dan: - Une partie de mon effort [pour supporter la souffrance provoquée par sa longue maladie] consiste à m’habituer à ces terribles, terribles contractions et douleurs abdominales qui pouvaient durer sans relâche pendant des semaines.
Quelquefois, je me mettais des pinces à linge ou des attaches sur les tétons pour provoquer une douleur érotique plus forte que l’autre douleur.
Ça m’a aussi amené à me masturber intensément et d’une façon particulière.
Je ne me servais jamais de mes mains.
Je ne pouvais pas.
Alors pour soulager mon ventre, je le frottais avec tout le reste contre les draps.
Ensuite je commençais à m’activer avec les oreillers.
C’était le nirvana parce que la douleur devenait un plaisir énorme.
Mais dès que l’orgasme survenait, la douleur revenait en force.
Toni: - C’est ça le problème: empêcher que l’orgasme vienne trop vite.
Dan : - C’est vrai.
Quand j’étais gosse, j’appelais ça «passer par-dessus bord ».
Je pensais à des punitions qui me feraient passer par-dessus bord.
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