Mardi 18 novembre 2 18 /11 /Nov 10:19


crédit image Luis Royo

Voici la dernière partie de cet entretien réalisé par robert Stoller en 1980.

Stoller: - Avez-vous jamais eu envie d’être, ou avez-vous été dominateur?

 

Dan : - Je l’ai été.

Je suis un grand dominateur pour moi-même.

C’est frustrant pour moi d’être dominateur parce que je me dis: «Si j’avais quelqu’un qui m’était soumis, il faudrait qu’elle soit aussi soumise que moi.»

C’est presque impossible. (Il y a des gens qui vont plus loin que moi, surtout chez les gays.) Pam voulait voir à quoi ça ressemblait [d’être dominée].

La fois où on l’a fait, ça s’est très mal terminé.

Je voulais qu’elle s’implique émotionnellement de la même manière que moi.

Elle ne pouvait pas le faire.

Pour finir, elle a pleuré pendant des jours. Ça a foiré.

Ce que j’aime bien, c’est qu’elle m’attache et qu’elle s’en aille après: c’est risqué.

Il y a un risque si la maison prend feu.

J’aime bien être attaché pendant longtemps: encore un lien avec ce truc de mon enfance d’être «laissé tout seul avec mes pensées et me retrouver là à souffrir». [Mais quand il a fait ça à Pam, «ça a foiré».]

Alors je suis sorti pour quelques heures.

Je ne voulais pas lui faire courir de risques en l’attachant.

Je l’ai attachée avec des fils et je lui ai dit: «Ecoute, si tu casses ces fils, tu seras punie.»

Elle n’aimait pas avoir mal.

Alors la fessée, ce serait seulement pour la punir. Bref, je suis parti et quand je suis revenu, un des fils était cassé.

Je lui ai dit qu’il allait falloir que je fasse ce à quoi on s’était engagés.

Elle s’est mise à pleurer et m’a transmis une dépression bizarre.

Plutôt moche.

Ça a duré environ vingt-quatre heures.

J’en étais malade.

C’est la deuxième fois seulement où j’ai été ennuyé de pratiquer le S.M.

J’ai été bien au-delà d’une limite qu’elle n’était pas capable de définir pour elle.

C’est ça le problème.

Tout ça s’est passé il y a de nombreuses années.

Maintenant elle a plus d’expérience.

Maintenant on sait qu’elle ne peut pas se soumettre à moi.

En revanche, elle peut être soumise à d’autres personnes parfois et elle sait dire jusqu’où elle ira, et, en réalité, elle aime ça jusqu’à un certain point.

L’ennui pour moi quand je suis le dominateur, c’est que je suis jaloux: jaloux de la personne à qui je suis en train de faire ce que je fais parce que j’aimerais tellement qu’elle me le fasse a moi.

Les douleurs abdominales, c’est un truc vraiment important dans la F.C. (fibrose kystique). C’est ce qui fait mal dans cette maladie.

Des douleurs dans le ventre terribles, à cause de la mauvaise digestion.

Dès mon plus jeune âge, je me suis rendu compte que si je me frottais le ventre (plus tard, je me suis servi des draps pour ça), ça soulageait la douleur.

C’est devenu très vite de la masturbation.

Depuis ma petite enfance, il y a toujours eu ça dans ma vie.

Ensuite, pendant toutes mes années d’école primaire, les douleurs abdominales ont été le problème principal, plus important que les problèmes respiratoires, qui se sont tassés. Beaucoup de pneumonies quand j’étais tout petit, un peu moins en primaire, et davantage à la fin de l’adolescence et aujourd’hui dans la trentaine.

Mal au ventre.

Les pires contractions. A se tordre de douleur; je me tenais le ventre en marchant.

Ça augmente graduellement, une douleur sourde pendant des jours sans interruption; ça venait par crises.

Ça durait des jours, comme s’il y avait quelqu’un là-dedans qui s’agrippait à une poignée en tirant sur tous les organes.

Sans relâche. Ensuite ça partait.

Si je mangeais quelque chose de gras, ça venait.

Et quelquefois, ça ne venait pas. Pas moyen de savoir ce qui, dans mon alimentation, provoquait ça.

C’était simplement la nature de cette maladie.

Diarrhée et constipation, combinées, une bataille permanente, aller aux toilettes tout le temps mais sans y aller vraiment.

C’était principalement ça qui me faisait manquer l’école ou demander à rentrer à la maison. Quand j’étais à la maison dans mon lit, je tenais l’oreiller contre mon ventre.

Depuis l’âge de six ou sept ans; je tenais l’oreiller, je le triturais, je l’écrasais fort contre mon ventre, je m’étendais à plat ventre, l’oreiller contre moi, je m enfonçais dans le lit en me balançant, je tringlais le lit pour soulager la douleur, et c’est devenu une sensation sexuelle dans le pénis.

Alors j’ai commencé à me masturber.

Je ne me rappelle pas quand j’ai commencé à avoir des érections en faisant ça, six ou sept ans, je ne sais pas.

Je me souviens: toujours.

Je calmais le mal au ventre en me frottant le pénis.

Dès que je commençais à me balancer, ça m’apaisait.

Ça me faisait oublier la douleur. [Au fil des années], c’est devenu de plus en plus une sensation sexuelle, j’avais des érections, c’était de la vraie masturbation, la douleur avait complètement disparu.

C’était le plaisir de la masturbation.

Quand j’éjaculais, la douleur affluait de nouveau. La douleur est remplacée par le plaisir sexuel.

Ce qu’on fait quand je couche avec Pam: elle est dessus et moi dessous, elle m’étrangle, généralement avec un cordon de peignoir en velours doux: la sensation est plus agréable, le cordon ne blesse pas, ne laisse pas de marques, il est assez large pour que ça ne fasse pas de mal.

Elle ne serre pas brutalement ni violemment, c’est juste une pression douce, relâchée au bout de quelques secondes, au rythme où on baise.

Ça fait affluer intensément le sang au cerveau et ma figure devient toute rouge.

La respiration est plus difficile mais je peux encore respirer, et ça agit directement sur les organes génitaux.

J’ai une incroyable... Les érections sont plus dures, plus fortes et les orgasmes beaucoup plus intenses.

Baises par strangulation; on l’a beaucoup fait, en général quand elle avait envie de dominer. C’était le moyen le plus facile pour elle.

Après, il y a les jeux de contrôle.

Je les appelle des «jeux » mais ça ne l’était pas pour nous.

Ça faisait partie de notre style de vie, à l’époque où elle me dominait complètement: elle contrôlait mon régime pendant le Carême.

Une année, pendant quarante jours et quarante nuits je n’ai rien mangé d’autre que des flocons d’avoine; une épreuve d’endurance.

Comme je ne dois pas perdre de poids, c’était un véritable défi pour moi.

Il fallait que je mange dix bols de flocons d’avoine par jour pour garder les calories.

Je pouvais boire n’importe quoi: des shakes, des boissons protéinées et des choses comme ça. C’est ma façon de jeûner.

Je ne peux pas jeûner pour des raisons médicales.

Alors restreindre son régime, c’est une façon de jeûner.

Un jeûne masochiste.

Comme le jeûne et les pratiques religieux.

Le Carême m’a procuré un plaisir fantastique, mais pas un plaisir sexuel - le plaisir de se dire: «J’ai fait ça pendant quarante jours.»

Presque un exploit sportif.

C’est comme ça pour moi.

Quelquefois, le sexuel intervient là-dedans, quelquefois pas.

Il intervient quand c’est elle qui dit: «Voilà ce qu’on va faire.»

Une chose agréable que j’ai faite avec elle: me faire attacher dans la cour derrière la maison toute la nuit jusqu’au lever du soleil.

Ça relève davantage de l’endurance que du sexuel.

En fait, ça commence par être sexuel.

J’ai une érection quand elle m’attache, mais ça s’arrête après.

C’est difficile à décrire.

On est dans un état de flottement spirituel et sexuel.

 

Stoller: - Imaginez qu’une partenaire vous dise: «Tu ne vas peut-être pas jouir ».

Est-ce que ça arrive?

 

Dan: - Oh, oui. Quelquefois c’était même un élément important de la relation qu’on avait. C’est une frustration, mais la frustration est encore une façon de faire monter la pression, une autre forme d’endurance.

Une autre sorte de jeûne, en quelque sorte.

Ça durait des semaines ou des mois.

On a un équipement pour la chasteté, avec percements et cadenas.

Je portais ça et je ne me masturbais même pas, je n’étais même pas tenté.

La plus longue période pendant laquelle je n’ai pas joui une seule fois, ça a été un mois.

Je ne crois pas que j’arriverais à me pendre par les pectoraux, et je ne pratique pas les pointes [allusion à une photographie que nous avons vue tous les deux d’un homme qu’il connaît et qui se pend avec des crochets par la poitrine, ainsi qu’à une autre photo du même homme percé de dizaines de pointes].

Mais ce qui m’intéresse, c’est le bondage de longue durée, la gêne qui dure longtemps.

Il faut arriver, d’une manière ou d’une autre, à manœuvrer mentalement la gêne.

Après, ce n’est plus une gêne, ça devient une sensation agréable, comme engourdie.

 

Stoller: - À part cette sensation d’engourdissement, est-ce que vous ressentez d’autres changements d’état?

 

Dan: - Oui, oui. On a l’impression de flotter, presque comme si on était drogué, la douleur est assourdie.

On ne la sent plus, un peu comme si on se regardait soi-même en train de vivre ces choses.

Je fais ce qu’elle veut.

C’est mon défi.

C’est ce que je dois supporter: je dois lui abandonner ma sexualité et mes sensations.

Elle m’attachera dans la cour, mais ça ne l’excite pas: elle est ma seconde [son assistante, comme dans un duel].

 

Stoller: - Pourquoi est-ce que ça ne l’excite pas alors que la ceinture autour du cou, par exemple, ça l’excite?

 

Dan : - Parce que, physiquement, elle participe à ça [ceinture produit forte érection]; elle est là, elle me voit pendant qu’elle le fait, elle sent la sexualité.

On baise et elle sent ce qui se passe quand elle serre, ça donne des pulsations à mon pénis. Elle le sent. [Mais dans l’histoire de la cour], elle ne participe qu’en m’attachant, elle va se coucher, elle ressort pour me désentraver le lendemain matin.

C’est dur pour elle de faire ça, parce qu’elle est couchée, elle sait que je ne suis pas là et elle se fait du souci pour moi qui suis dehors.

 

Stoller: - Pourquoi le partenaire fait-il ça?

 

Dan : - Son premier partenaire sexuel, ça a été son mari.

Elle sentait qu’il manquait quelque chose mais il lui a fallu longtemps pour divorcer.

Elle était féministe mais pas lesbienne.

Elle n’aimait pas la manière dont les hommes la traitaient, dont ils essayaient de profiter d’elle.

Elle voulait avoir le contrôle de la situation.

«Autoritaire », elle appelle ça, mais il ne lui venait jamais à l’esprit que ça pouvait être sexuel. Dès notre première rencontre, je lui ai dit: «J’ai été dans le S.M. toute ma vie, j’ai fait ci et ça. Ce que je voudrais vraiment, c’est être à temps plein l’esclave soumis d’une femme, faire ses commissions, être son esclave sexuel de toutes les façons qu’elle veut et quand elle veut. »

Elle était dans le milieu du spectacle rock punk quand je l’ai rencontrée.

Alors, pour elle, parler de percements, des jeunes qui se percent les joues ou les narines et qui se gravent des lettres sur la peau avec du verre...

Elle ne le faisait pas mais elle observait ça avec beaucoup d’intérêt.

Donc, je savais que, dans ce domaine, je ne la choquerais pas.

Elle approuvait les pratiques de ces gens, ce que ça symbolisait.

Evidemment, ça n’est pas forcément du S.M. sexuel, mais il y a sûrement quelque chose de sadomasochiste là-dedans...

C’est un autre style de vie.

À l’époque, je portais un anneau sur le pénis.

J’adorais l’exhiber.

Alors j’ai dit quelque chose du genre : «J’ai le pénis percé.»

Elle a répondu : «Oh terrible! Je peux voir? »

J’ai dit: «Bien sûr.»

Elle était soufflée. Elle trouvait ça très bien, vraiment elle a bien aimé.

Quelque chose avait éveillé mon envie d’être soumis à elle: le fait que j’aie dit que j’avais toujours voulu être un homme entretenu.

Elle a dit: «J’aimerais bien avoir un homme entretenu»; en se taquinant comme ça, on en est venu naturellement à l’idée que je pourrais être complètement l’esclave sexuel de quelqu’un. Je n’avais rien à perdre.

Au bout de deux ou trois rencontres, je vivais pratiquement avec elle et j’ai fini par déménager.

Mais, tout en étant très autoritaire, elle a très peu d’estime pour elle-même.

Tout ce qu’elle accepte et qu’elle adore faire une fois, elle va le renier totalement la fois suivante et dire «C’est mal; pourquoi est-ce qu’on fait ça? »

Je crois qu’elle est fondamentalement rebelle, mais ensuite elle se punit d’être rebelle.

En ce moment, elle tente l’expérience de la soumission.

C’est une soumise très très modérée.

C’est plutôt sensuel, pas masochiste.

Il n’y a pas de douleur physique, pas de souffrance à endurer.

Simplement, quelqu’un d’autre dirige les opérations pendant un petit moment.

Cette partie-là m’ennuie complètement.

Je veux aller plus loin, elle ne veut pas.

Alors ça crée des problèmes.

 

Par Grand Nord - Publié dans : Aux origines du "mal"...
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