Samedi 16 août 6 16 /08 /Août 18:15
Textes 4- Soumonces...



"Soumonces"



Il est tôt, très tôt…

Fanny s'étend, s'enroule, se love au creux du lit, elle essaie de retrouver la chaleur de son amant.

Elle tend la main, tâtonne et découvre le vide autour d'elle.

Où est-il ?

Et aujourd'hui en plus…

Ce jour précisément, le plus important pour les habitants de la belle ville.

Déjà, elle entend le bruit des batteries, un roulement de tambour mené de main de maître par quelques musiciens qui vont rythmer le début de cette journée, point ultime de la vie de la cité.

Il n'est pas là, la couette a glissé de son côté laissant un vide, un froid glacial qui s'insinue en ce jour de Mardi Gras.

Non, ce n'est pas possible, qu'il soit parti, qu'il l'ait quitté en ce moment.

Et les autres qui vont arriver, ses amis, ses intimes…

Que vont-ils dire, que vont-ils penser ?

Elle qui avait réussi à l'introduire dans ce cercle très fermé des Gilles de Binche, un cercle d'initiés qui ne s'ouvre qu'à ceux qui sont nés, vivent dans la cité reine du Carnaval.

Et lui qui venait du sud, quelques kilomètres à peine seulement mais suffisant pour qu'il soit plus proche d'un dragon antique que d'une icône séculaire.

Le traître se dit-elle, elle qui avait fait des pieds et des mains pour que ce cercle s'ouvre devant lui et qu'il puisse enfin devenir un Gille.



Lors de la nuit des Trouilles de Nouilles, certains s'étaient approchés d'elle et lui avaient susurré quelques mots, des mots "blessants", des mots "coquins" que l'anonymat des masques permettait.

Elle avait entendu "catin", "cornue" et aussi "coquine" et "allumeuse".

Quelques tapettes sur sa croupe, des tendres mais aussi des vengeresses s'étaient égarées.

Un peu comme si certains ne lui pardonnaient pas à elle, pure binchoise, d'avoir pu faire rentrer dans les rangs, un étranger.



Ce dimanche, elle l'avait trouvé bizarre, assez lointain lors du premier cortège.

Son costume de Loup qu'elle lui avait préparé, il l'avait un peu boudé.

Et pourtant, elle se trouvait très assortie à lui, avec cette tenue de Chaperon Rouge qui laissait apparaître le haut de ses  cuisses, ses bottillons vernis écarlates.

Une invitation à quelques fessées si tendres, si sensuelles.

Et en se saoulant des rythmes et des  ritournelles des orgues de barbarie, elle avait en se trémoussant devant lui essayé de lui donner des envies, des envies de chaleur, des envies torrides de sentir la paume de ses mains courir sous son court jupon.

Mais, rien, pas de lueur d'envie, une corvée pour lui, elle avait faillit pleurer.

Elle avait ressenti en lui la perte d'envie, l'absence de la flamme qui brûlait en chacun des Binchois.

Le soir, il s'était couché près d'elle et avait parlé, peu, mais il avait ouvert son c½ur, ce qui était rare pour cet homme taciturne.

Il lui avait parlé de "fatigue", de "stress", "d'erreurs", de ne pas avoir fait le bon choix somme toute.

Elle s'était retournée vers lui et lui, avait roulé dans les draps présentant ses épaules, son dos.

Elle s'était sentie seule.



Fanny se lève, les bruits retentissent plus près d'elle, elle sait qu'ils vont arriver.

Doit-elle accepter la honte, le déshonneur, que faire ?

Une idée folle arrive, une idée incongrue, une idée iconoclaste, une idée sacrilège.

Elle se précipite vers la chambre d'ami et devant elle, déposée avec vénération, les accessoires du gilles.

Vite, vite…

Elle enfile le caleçon long, roule une chaussette et la place à l'endroit ad'hoc faute d'une virilité absente.

Dans le placard, une écharpe de soie qui ceint sa poitrine et cache ses formes, il ne reste plus qu'à trouver de quoi se masquer.

Le bonnet de coton blanc qui lui enserre la tête, une chance, elle porte les cheveux mi-longs.

Il ne lui reste plus qu'à cacher ses traits…

Heureusement, le traditionnel masque de toile cirée est là.

Le mettre maintenant est une erreur mais si elle veut que son plan marche, il faudra y aller au culot.

Une chance que son amant soit de la même prestance qu'elle, sans cela, rien n'aurait pu fonctionner.

Le bruit s'accentue, ils sont là, les amis de son "Oncle" et celui-ci viennent d'arriver au pied de la porte.

Fanny croise les doigts…

Prenant au passage un peignoir, qu'elle enfile prestement, elle descend vers le couloir de l'entrée.

Voilà, ça y est…



La porte s'ouvre et ils entrent, les traits rougis par le froid de février et l'alcool des jours passés...

Ils sont hilares, les effets du champagne bu de si bon matin, les huîtres aussi et quelques bières pour faire descendre le tout…

Dieu que les hommes sont bêtes se dit-elle.

Son "Oncle" précède le groupe, il la regarde mais il ne fait pas de commentaires.

Ces "étrangers" pense-t'il, incapable d'attendre que l'on vienne les habiller…enfin, c'est parce que Fanny a tellement de charme et de persuasion.

Mais, il aurait pu attendre quand même que moi, l'ami de la mère de Fanny, je puisse bourrer son costume convenablement de paille.

Enfin, les rires et les cris des convives noient ses pensées.

Elle fait mine de l'inviter à monter pour qu'il puisse l'habiller de son mieux.

Fanny essaie d'avoir la démarche la plus masculine que possible mais elle se doute bien que son "Oncle" ne sera pas leurré comme cela fort longtemps.



Arrivé en haut, pendant que sa mère qui suivait le groupe, ouvre à nouveau des bouteilles de champagne et quelques "crasses pintes", Fanny se retourne vers son lui…

-"Jean, je…"

-"Oui, j'ai deviné que ce n'était pas lui, je n'ai rien dit pour éviter l'esclandre mais qu'as-tu fait ?"

-"Il fallait le faire,  je ne sais pas ou il est, il n'est plus là, pense à la honte, à la gêne…"

-"Il est plus sacrilège pour une fille de s'habiller en Gille que pour un homme, à qui ont a laissé ce privilège, de ne pas participer aux cortèges de Mardi Gras…"

-"Je sais mais il fallait…"

Jean l'interrompt de la main.

-"Tu n'es pas la première qui se fait passer pour un homme lors d'un carnaval, c'est des choses que nous les anciens gardons secrets mais cela arrive plus fréquemment que l'on puisse imaginer.

Si tu le désires, pour l'honneur de ta famille, je serai ton complice pour cette duperie mais il y aura un prix, celui que paie chaque jeune femme qui ose braver les us et coutumes du carnaval.

Ce prix es-tu prête à le payer ?"

-"Oui, il le faut, je ne sais pas où il est, s'il reviendra…je suis perdue et notre honneur aussi."

-"D'accord, pour avoir osé braver la règle tu devras porter cette branche de mimosa accrochée sur ton costume, une marque de femme de carnaval.

Personne ne te reconnaîtra mais les vrais habitués sauront que sous cette tenue, il y a le corps d'une femme qui triche avec nos traditions.

Cette tricherie et aveu anonyme de ta part les autorisent à te fesser comme ils veulent durant cette journée.

N'importe où, durant le cortège, ils pourront porter la main sur ton derrière en signe de réprimande collective.

Acceptes-tu ?"

Fanny ne sait pas trop que répondre, mais une pointe de curiosité et le rythme des tambours commence à la gagner.

Du sang de "binchou" coule en elle…

Un sang qui s'échauffe au creux de l'hiver, lorsque le froid est le plus mordant, du sang de carnavaleux.

-"J'accepte, et puis cela me servira de leçon…"

Bien entendu, l'excitation et la gêne du début font place à la curiosité, une "fessée" comme sanction, une véritable aubaine pour cette coquine de Fanny.

Bien entendu, il ne faut surtout pas sourire ni montrer de joie.

Si c'est comme cela, elle fera acte de contrition, pour son plus grand plaisir.



Ainsi, avec la patience et le savoir d'un homme qui a souvent fait cette noble besogne, Jean commence à torsader les écheveaux de paille, remplissant et bourrant le costume de Gille que Fanny a enfilé.

Tout doit être fait pour que le Gille soit protégé du froid sans être gêné par la paille mal disposée.

Tout un art…



En bas, l'ambiance monte, les hommes sont montés à l'étage, certains cherchent Fanny.

Jean leur répond qu'elle est partie rejoindre une amie dans la maison voisine, tous acceptent le mensonge.

Fanny quant à elle, a chaud, la sueur commence à couler au creux de son dos.

Le rythme, le bruit des sabots et des grelots, tout cela échauffe son sang, mieux qu'une fessée.

Le "bourrage" se termine, Fanny est prête.

L'Oncle prend le grand chapeau aux plumes d'autruches.

-"Pas maintenant, il est lourd, trop lourd pour toi, je le porterai et te le donnerai aux derniers moments."



Ils descendent et sortent dans la rue, il est presque six heures du matin.

En cachette, Fanny a bu quatre coupes de champagnes, les bulles montent à la tête, elle est grisée.

Elle avance martelant le sol avec les galoches en bois, sa grosse ceinture à grelots tressaute et l'ensemble se joint aux rythmes qui s'élèvent aux quatre coins de la cité intra-muros.



Cependant, avant de rejoindre une autre batterie qui accompagne un autre Gille, Jean prend un rameau de mimosa qu'il attache avec un cordon écarlate à un des grelots de la ceinture.

-"Voilà, tu es prête à sauver ton honneur mais le prix tu le connais aussi…"

Fanny sait que la journée va prendre une tournure des plus inattendues.



Quelques groupes se rejoignent, et c'est déjà une dizaine de Gilles qui se dirigent vers la gare, lieu de rendez-vous.

Soudain, Fanny sent un choc brutal sur son postérieur.

Surprise, elle se retourne vers celui qui a osé.

Un vieux monsieur lui jette un clin d'½il et dit "mimosa"…

Fanny a compris, ne rien dire et accepter.

Elle continue à avancer et de temps en temps, sans le deviner, une main vient heurter son fessier.

Et toujours ce "mimosa" qu'on lui murmure signe qu'on a reconnu l'imposture.

La "punition" semble bien douce, voire…affligeante.

Mais, quelques claques bien assénées plus tard, Fanny commence à ressentir les effets pervers.

Son derrière lui brûle de plus en plus, l'attente et la surprise font éveiller en elle des sensations enfouies.

Quand ?

Qui ?

Comment ?

Elle oublie la douleur qui a fait place à l'excitation.



Le temps passe et la foule se fait plus nombreuse, ils arrivent sur la place de la gare où les autorités communales décernent les médailles aux jubilaires.

Les Gilles martèlent les pavés sur des rythmes séculaires et Fanny est grisée, elle oublie tout.

Jean quant à lui est à ses côtés.

La foule se presse, et bizarrement, Fanny constate qu'elle est plus que serrée par les hommes.

Elle sent les mains qui s'aventurent, frappent, tapotent, heurtent son fessier.

Des mains pudiques, mais des mains vengeresses accompagnées du mot "mimosa", un blanc-seing pour ces fesseurs improvisés.



Il fait glacial, le vin chaud, la bière coule à flot, des groupes d'étudiants chantent des cantiques forts peu religieux.

Et de plus en plus, la croupe de Fanny est mise à l'épreuve.

Et de cette douleur, cette gêne qui monte en elle, fait place à l'envie, l'envie de lui, le traître qui n'est pas là.

Et toujours ce rythme assourdissant, lancinant, un rythme de fessée…



L'excitation monte, de temps en temps, quelqu'un lui passe un verre d'alcool, une eau de vie glacée qui lui explose les quelques neurones de bon sens qui restaient en elle.

Le bon sens…celui des sensations fortes qu'elle ressent au creux des reins, cette envie qu'il soit là…

Le tout accompagné de "mimosa" et d'une main qui vient heurter sa croupe.

Et la voilà qui tend son derrière, drôle de posture pour un Gille anonyme.



Elle attend le prochain coup de patte qui doit venir, elle attend et rien ne vient…

Elle se met à hurler son envie, la tête lui tourne et on la secoue…



-"Fanny, Fanny, ça va…"

Fanny se retourne, elle est dans le lit avec lui, il est là, nu sous les draps tout chaud…

-"Et bien Fanny, la prochaine fois que tu sors avec tes étudiantes, tu éviteras d'abuser de l'Eau-de-Villée, regarde-toi, tu n'as pas arrêté de crier dans ton sommeil.

Et dans une heure je dois me lever, c'est le grand jour, mon premier jour de Gille de Binche.

Mon premier Carnaval…

Merci mon amour."



Il se penche vers elle, se colle contre sa poitrine, joue avec ses seins, ses mains descendant vers ses fesses charnues.

Au loin, les rythmes de batteries se joignent aux rythmes des coups de rein que Fanny et son amant se donnent dans les draps de satin.



Grand Nord                                       Janvier 2006
Par Grand Nord - Publié dans : 1- Mes textes...
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